À l’instar de Léa Salamé, chroniqueuse à l’émission On n’est pas couché, qui s’enflamme après la citation d’une phrase d’Edwy Plenel, venu cette soirée-là parler de son livre. «C’est une histoire mondiale, c’est un problème identitaire mondiale» réplique-t-elle après une phrase, effectivement partielle, du journaliste français qui consiste à dire que «La France est devenue une exception européenne avec une extrême-droite installée dans le centre du débat public». En effet, sous la bannière d’un «nous» exclusif, le populisme monte aujourd’hui partout en Europe et aux États-Unis. L’ennemi qui est désigné aujourd’hui est l’Islam, parce que, comme le dit Donald Trump – homme au grand esprit de synthèse – «Islam hates us».

En effet, sous la bannière d’un «nous» exclusif, le populisme monte aujourd’hui partout en Europe et aux États-Unis. L’ennemi qui est désigné aujourd’hui est l’Islam

Ceci dit, au-delà de la désolation vis-à-vis de ce genre de discours, il est intéressant de se demander d’où vient ce réductionnisme et pourquoi il trouve des oreilles attentives.

Ce qu’est une nation

Il existe une affirmation parmi les théoriciens de la nation, c’est celle qui consiste à dire que la nation n’existe pas en soi. C’est-à-dire que, loin d’être un mode fini, la nation doit être constamment produite et reproduite. Comme le défend Étienne Balibar, en effet, «Une formation sociale ne se reproduit comme nation que dans la mesure où l’individu est institué comme homo nationalis» . Pour arriver à produire un homo nationalis l’individu doit être associé à un récit collectif et un univers symbolique auquel il peut se référer : l’imaginaire du peuple. Balibar dit à propos de cet imaginaire : «C’est celui d’une communauté qui se reconnaît par avance dans l’institution étatique, qui la reconnaît comme «sienne» face à d’autres États, et surtout inscrit ses luttes politiques dans son horizon. »

Pour garantir la pérennité de l’État et la stabilité sociale, il faut donc produire le «peuple» ou, mieux, s’assurer qu’il se produise lui-même. Mais comment?

Le problème est qu’un tel «peuple» n’existe pas dans la nature et qu’aucune nation n’est composée d’un seul groupe ethnique homogène. Pire, aucune nation n’est à l’abri des conflits de classe… Pour garantir la pérennité de l’État et la stabilité sociale, il faut donc produire le «peuple» ou, mieux, s’assurer qu’il se produise lui-même. Mais comment?

La production de l’individualité nationale exige une forme idéologique spécifique : le nationalisme. Cette idéologie, pour être efficace, doit remplir plusieurs conditions. Premièrement, elle doit atteindre la collectivité autant que l’individu pour les inclure dans une même communauté. Deuxièmement, elle doit affecter la manière même dont l’individu se définit comme sujet en associant ses affects et sa représentation de lui-même au cadre national. Et finalement, elle doit devenir un fondement implicite de la communication entre individus et groupes. Autrement dit, cette idéologie engendre le «peuple» en même temps qu’elle engendre ses membres. Le but est que «les frontières extérieures soient imaginées en permanence comme la projection et la protection d’une personnalité collective intérieure, que chacun porte en soi et qui lui permet d’habiter le temps et l’espace de l’Etat comme un lieu où l’on a toujours été, où l’on sera toujours «chez soi». »

Le «chez soi» de Trump ou de quoi Trump est-il le nom

Le «chez soi» de Trump est celui du repli identitaire et des formules réductrices. Il est aussi le nom, l’étalon, la représentation, de l’Américain blanc. Mais pas que ça. Il est surtout le nom de l’Américain blanc riche, celui des multinationales, celui qui a construit un schème mental autour d’une conception de la nation trop égoïste et trop inégalitaire d’un point de vue économique et qui, pour que les concernés regardent ailleurs, a construit l’idée du danger permanent : «nous» contre «eux». Il n’est donc pas étonnant que des oreilles attentives à ce populisme existent. Surtout si on attribue à «eux» tous nos malheurs présents – c’est-à-dire celui des crises économiques, du chômage, de la perte du pouvoir d’achat, etc.

Il n’est donc pas étonnant que des oreilles attentives à ce populisme existent. Surtout si on attribue à «eux» tous nos malheurs présents – c’est-à-dire celui des crises économiques, du chômage, de la perte du pouvoir d’achat, etc.

En effet, depuis son apogée au début des années 70, le capitalisme financier n’a fait que creuser l’écart économique entre les riches et les pauvres ; il a conduit à la misère un grand nombre de personnes dans les pays ; il a créé une caste de rentiers qui occupe le pouvoir ; il a brisé la sécurité sociale ; il a brisé le pouvoir des États devant les multinationales. Mais, depuis un certain temps, tout cela importe peu. Car il n’y a qu’une seule vérité d’évidence : vous n’êtes quand même pas pour que l’Islam envahisse «chez nous»?

Mais, Dieu merci, il existe encore des personnes qui refusent d’accepter cette façon de manichéenne de voir et qui produisent un contre-discours pour contrer le pouvoir. Ils s’appellent Bernie Sanders ou Jeremy Corbyn ; ou bien ils sont des collectifs : Attac, Podemos, Syriza… C’est pourquoi il est très important pour que la société civile, par toutes ces composantes, n’arrête jamais de produire un contre-discours qui met les points là où il faut.

Pour un contre-pouvoir

Car il ne suffit pas seulement d’être désolé du discours qui demande à un musulman d’être moins musulman pour pouvoir s’intégrer. Ou bien de celui qui force une femme à enlever le voile pour paraître plus féministe.

Contrer le pouvoir, c’est aussi produire un contre-discours au discours dominant. Un nouveau discours sur le sens de la société que nous voulons tous et toutes construire, sur la pratique et l’engagement social. Il est en effet impératif de le faire, si l’on veut établir une dynamique sociale respectueuse et égalitaire. Car il ne suffit pas seulement d’être désolé du discours qui demande à un musulman d’être moins musulman pour pouvoir s’intégrer. Ou bien de celui qui force une femme à enlever le voile pour paraître plus féministe.

À vrai dire, pour ne prendre que cet exemple, le nombre de femmes qui portent le foulard dans la rue n’est pas ce qui fait l’égalité de la femme face à la loi. Cette façon de regarder est superficielle. La vraie liberté des femmes est l’accès à l’éducation et au marché de l’emploi. Car, si nous sommes en 2016, n’oublions pas que, encore, une femme à compétence égale est moins payée qu’un homme. C’est ce genre de débat qui fait qu’une société est égalitaire. De ce fait, passé la période de la désolation, il faut reprendre l’initiative politique. Et vite.