Boudée par la classe politique, pourchassée par les antiracistes, la présidente du Front national, Marine Le Pen, n’aura pas trouvé au Québec l’accueil qu’elle espérait. Le fiasco de cette visite s’explique cependant davantage par la mobilisation des groupes antifascistes que par l’absence de résonance auprès de la population québécoise du discours porté par Le Pen.
«Il faut qu’on confronte les xénophobes et les racistes», insiste le militant montréalais Jaggi Singh. Ciblé par des attaques racistes en ligne, l’activiste a été arrêté après une manifestation qui a forcé l’annulation de la réservation de Le Pen à l‘hôtel Marriot Château Champlain le lundi 21 mars, journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale.
La veille, le premier évènement public de la présidente du FN, une conférence de presse tenue à Québec dans le cadre de la journée internationale de la Francophonie, a été perturbé par des militantes et des militants libertaires et antifascistes. L’action avait essentiellement pour but de faire échec à la stratégie de communication du FN que Marine Le Pen tente de présenter comme un parti respectable.
Le fascisme sans complexe
Pour Nicolas Phébus, qui a participé à l’action de Québec, le FN incarne au contraire un «fascisme moderne», de plus en plus décomplexé, qui trouve une résonance dans les discours xénophobes, islamophobes et autoritaires portés par des partis politiques comme le Parti Québécois (PQ), la Coalition avenir Québec ou le Parti conservateur du Canada.
Si la classe politique québécoise a refusé d’être associée à Marine Le Pen, la présidente du FN a par ailleurs été invitée à s’exprimer sur les tribunes médiatiques les plus prestigieuses comme sur les plus populaires. On a notamment pu la voir sur le plateau de LCN échanger avec l’ancien chef de l’ADQ, Mario Dumont, s’entretenir avec Anne-Marie Dussault à Radio-Canada, en plus de l’entendre en entrevue avec Paul Arcand au 98,5 FM.
Les médias ont ainsi donné à la présidente du FN l’occasion de critiquer la politique du gouvernement Trudeau sur l’accueil des réfugiés syriens, qui représente selon Le Pen une «folie», ou d’endosser le projet de Charte des valeurs québécoises du PQ, qui représente selon elle «une proposition sage» en faveur de la laïcité.
Montée de la droite québécoise
«Il y a une frange de la population qui se retrouve dans ces idées-là, constate Nicolas Phébus. Il y a une montée de la droite, il y a une montée du populisme», ajoute-t-il en référence notamment à l’importante augmentation de la députation conservatrice dans la région de la capitale nationale et au mouvement des «radios-poubelles» qui y foisonne.
À son avis, c’est donc avant tout pour des raisons de communication politique que les principaux partis politiques québécois ont dressé un «cordon sanitaire» autour de la délégation du FN. Ainsi, la direction du PQ s’est dissociée publiquement de ses militants qui ont rencontré Marine Le Pen.
Sur le fond, le nationalisme identitaire véhiculé par l’aile droite du mouvement souverainiste, à l’intérieur ou en marge du PQ, n’est cependant pas sans ressemblances avec le programme politique néofasciste du FN.
Le mégaphone des réseaux sociaux
De fait, le discours xénophobe du FN trouve un écho chez des groupes racistes bien implantés au Québec et très actifs sur les réseaux sociaux, comme le groupe PEGIDA Québec dont la page Facebook compte plus de 10 000 mentions «j’aime» ou le site nationaliste Poste de Veille qui est suivi par plus de 30 000 personnes sur Facebook. Le groupe fermé «La Meute», créé l’automne dernier principalement en opposition à l’aide aux réfugiés syriens, compterait déjà quelque 25 000 membres.
«Il y a une certaine forme d’acceptation», se désole un membre du collectif Emma Goldman du Saguenay qui a demandé à garder l’anonymat. Le militant libertaire dénonce la complaisance des médias envers un mouvement d’extrême droite en plein essor, qui se présente comme une résistance citoyenne à l’islamisme radical, et auquel Le Soleil de Québec et Le Quotidien de Chicoutimi ont récemment consacré des articles.
L’islamophobie comme moteur
Galvanisés par l’islamophobie ambiante, que les récents attentats de Bruxelles risquent encore d’accentuer, les groupes de la nébuleuse néofasciste prennent racine dans les régions rurales comme en plein cœur des grandes villes, et sont parfois associés à des actes de violence haineuse, souvent impunis.
L’an dernier, le Collectif Québécois contre l’Islamophobie, dont le coordonnateur, Adil Charkaoui, se dit victime d’acharnement médiatique, dénonçait l’inaction du gouvernement face à une douzaine d’attaques contre des mosquées et des centres communautaires musulmans survenues entre 2013 et 2015 à travers le Québec.
Alors que les gouvernements et les médias font grand cas de la «radicalisation» des jeunes musulmans, la montée en puissance d’une extrême droite ouvertement raciste et xénophobe semble passer plus ou moins inaperçue. «Le mouvement est bien réel au Québec», prévient toutefois le militant du collectif Emma Goldman, qui estime que l’émergence d’un nouveau fascisme, dont la popularité croissante de Le Pen en France ou de Donald Trump aux États-Unis est révélateur, passe aussi par chez nous.
Par souci de transparence, l’auteur de cet article tient à préciser qu’il a participé à l’action de lundi soir, à titre de citoyen.