Vendredi dernier, Le Devoir nous apprenait qu’une chercheure a quitté son emploi au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV) pour éviter qu’une controverse médiatique ne nuise au travail de l’organisme. Pourtant, la chercheure en question n’avait été recrutée que récemment en remplacement d'un autre employé qui a lui-même démissionné au mois de décembre 2015 pour sensiblement les mêmes raisons.
Malgré leur caractère conflictuel, ces controverses soulèvent en fait un questionnement légitime quant à l'objectivité des employés du CPRMV, à savoir s’ils sont biaisés dans un sens ou dans un autre par rapport à l’islam, et, donc, s’ils sont qualifiés pour faire adéquatement leur travail de prévention lorsqu’il s’agit de dossiers impliquant une radicalisation de nature djihadiste.
Parce que légitime, ce questionnement mérite un traitement différent de celui que lui ont réservé jusqu’à maintenant certains acteurs médiatiques. En effet, la mission du CPRMV est trop importante pour l’avenir du vivre-ensemble au Québec pour qu’elle demeure ainsi tributaire des profils des recrues de l’organisme et des controverses qu’ils suscitent dans des médias communautaires et/ou nationaux. D’autant plus qu’il est sans conteste impossible, dans le contexte sociopolitique qui est le nôtre aujourd’hui, de trouver des individus qui seraient sans opinion lorsqu’il s’agit de ce type de dossiers et qui feraient ainsi l'unanimité au sein de la société civile en général et des communautés musulmanes en particulier.
Aussi, pour protéger le CPRMV de ces polémiques, il faut d’abord rappeler que l'objectivité d’un tel organisme ne dépend pas de la seule neutralité des membres de son équipe pris individuellement. Outre la dynamique de l’équipe et la complémentarité des individus qui la composent, cette qualité doit surtout être assurée par la nature des protocoles d'intervention et des grilles d’analyse qui encadrent le travail de cette équipe et les interventions spécifiques de chacun de ses membres.
Or, nous savons que le CPRMV, dans le but déclaré d’éviter de faire du profilage ou de la stigmatisation, préfère actuellement agir sur la base de l’analyse des comportements plutôt qu’en fonction des profils sociodémographiques des individus qui lui sont signalés comme potentiellement radicaux ou en voie de radicalisation. Mais il n’en demeure pas moins vrai que les outils utilisés pour évaluer ces comportements, et décider du degré de radicalisation des individus qui les manifestent, demeurent présentement inconnus du grand public. C’est pourquoi, il me semble qu'une première mesure qui pourrait éviter au CPRMV un remake des dernières controverses serait qu’il rende publics ses protocoles d’intervention et ses grilles d’analyse.
Prise isolément, cette première mesure ne serait évidemment pas suffisante. En effet, ces protocoles et ces grilles, quoique connus de tous, peuvent toujours être transgressés par des employés un tant soit peu orientés idéologiquement. Aussi, outre cette divulgation, il me semble tout aussi indispensable que les responsables politiques en charge du dossier de la radicalisation au Québec nomment une personnalité indépendante et crédible, une sorte d’ombudsman, qui pourrait garantir le respect des protocoles et des grilles divulgués tout en garantissant par ailleurs que ces protocoles et ces grilles soient eux-mêmes respectueux des principes des droits humains et de l’État de droit. En fait, même dans le cas où le CPRMV jugerait que la divulgation de ses protocoles et de ses grilles mettrait à risque son travail, cette deuxième mesure à elle seule devrait amplement suffire pour rassurer le public quant à la qualité et l’objectivité de son travail, quelques soient par ailleurs les profils académiques ou même idéologiques de ces futures recrues.