FSM 2016

Monde agricole: anciens et nouveaux défis

Rémy Bourdillon

Deux ateliers présentés au Forum social de Montréal permettent aux agriculteurs d'échanger sur leurs problèmes, en voie de résolution ou non.

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«Cela a pris du temps aux fermiers pour qu’ils réalisent qu’ils avaient un savoir», note Leah Temper d’USC Canada, une organisation de développement international basée sur l’agriculture écologique, en ouverture de l’atelier Paysans-chercheurs, nourrir la planète malgré le climat changeant. «C’était toujours des scientifiques ou des techniciens qui prenaient le contrôle des processus de sélection des semences, complète-t-elle.» Quand on aborde le sujet, on pense immédiatement à la mainmise de quelques compagnies sur l’ensemble des graines de la planète. Mais un nouvel ennemi devient de plus en plus envahissant pour les cultivateurs : le changement climatique. C’est une sécheresse qui est à l’origine du programme Seeds of survival d’USC Canada, lancé en Éthiopie il y a 26 ans. Aujourd’hui, il existe dans 12 pays.

Mais un nouvel ennemi devient de plus en plus envahissant pour les cultivateurs : le changement climatique.

C’est le cas au Honduras, l’un des pays les plus vulnérables au changement climatique au monde, qui a connu trois sécheresses depuis 2010, la pire des 30 dernières années ayant eu lieu l’an passé. L’agronome hondurien Marvin Gómez présente le volet de Seeds of survival qui y a été mené auprès de petits producteurs. Plus de 100 comités locaux de recherche ont été créés, faisant participer les paysans à l’amélioration génétique d’espèces de maïs et de haricots en croisant des variétés indigènes. «On a appris qu’il nous fallait une richesse génétique pour lutter contre les effets du changement climatique, explique-t-il. Ainsi, les cultivateurs peuvent choisir les semences selon leur réalité.»

M. Gómez insiste sur la puissance de ce travail participatif, qui met en valeur les savoir-faire locaux moqués par les industriels : «Au début, le gouvernement était sceptique. Mais, suite aux politiques néolibérales, il était devenu tellement inefficace qu’il a dû reconnaître notre importance et il a validé plusieurs variétés développées par nos comités.»

Quand on le questionne sur le prix de ces semences, il ne perd rien de son aplomb : «Elles coûtent moins cher que dans le commerce, car le coût du développement se distribue parmi les participants. C’est un apport de la société à tout le monde!»

Yann Vergriete, coordinateur d’USC Canada au Québec, dresse un portrait sombre de la situation canadienne : la production de semences est quasi-inexistante, il y a une pénurie de semences biologiques et les programmes publics de sélection faiblissent d’année en année. C’est pourquoi un programme de recherche participative, l’Initiative de la famille Bauta, est mené en ce moment avec la même philosophie que celle de Marvin Gómez : la diversité permet de s’adapter au changement climatique. Il permettra de développer des semences biologiques qui s’adaptent localement, et résilientes au changement climatique.

Le système de quotas, très rigide, bloque l’accès de la relève à des pans entiers du système agricole, comme la production laitière ou l’élevage de poulets.

Au Québec, une relève présente, mais peu écoutée

Mais la relève québécoise en agriculture doit aussi faire face à des considérations plus terre-à-terre : la difficulté de démarrer une exploitation, thème abordé lors de l’atelier La jeunesse est dans le pré, en après-midi. Selon Maxime Laplante, vice-président de l’Union paysanne, le monopole syndical exercé par l’Union des producteurs agricoles (UPA) joue en défaveur des jeunes agriculteurs – c’est d’ailleurs pour briser ce monopole que l’Union paysanne a vu le jour en 2001. Le système de quotas, très rigide, bloque l’accès de la relève à des pans entiers du système agricole, comme la production laitière ou l’élevage de poulets. De plus, l’inclinaison de l’UPA à favoriser l’agriculture industrielle s’accompagne de réglementations, notamment sanitaires, qui n’ont aucun sens lorsque appliquées à une production artisanale. À cela s’ajoutent des zonages également stricts, compliquant la tenue d’une activité complémentaire sur une ferme qui pourrait servir de revenu d’appoint aux jeunes fermiers. Résultat, bien que la demande pour le bio augmente, la production reste en stagnation.

La Via Campesina, mouvement paysan international, est venue appuyer l’Union paysanne lors d’une conférence de presse avant l’atelier. «Il est inconcevable que des paysans doivent payer une contribution à des gens [l’UPA] qui travaillent contre eux», lance Dena Hoff, coordinatrice de la Via Campesina pour l’Amérique du Nord. Benoît Girouard, président de l’Union paysanne, se veut à la fois optimiste et patient : en France, la Confédération paysanne a mis 15 ans à venir à bout du monopole syndical en agriculture. «On est encore dans les temps», conclut-il.

Pour Geneviève Grossenbacher, fermière dans l'Outaouais et membre de l'organisation pancanadienne National New Farmers Coalition, l'accès à la terre est compliqué à cause du coût prohibitif de celle-ci. Il ne suffit pas de trouver un terrain accessible, encore faut-il qu'il soit cultivable. Et les fermes «conventionnelles», souvent très grandes et mécanisées, ne correspondent pas à la volonté d'une relève agricole orientée vers le bio et les circuits courts. Cette déconnexion entre différentes générations d'agriculteurs mène à une situation ubuesque, que décrit la jeune fermière : le Canada perd 10 fermes par jour ; au cours des 20 dernières années, la taille des exploitations a crû de 130 %, et l'endettement de leurs propriétaires de 330 %. Les fermiers canadiens ont en moyenne 54 ans. Et 75 % d'entre eux n'ont pas identifié de relève. Pendant ce temps, des jeunes cherchent désespérément un lopin de terre pour démarrer un petit projet agricole…

On retiendra toutefois deux bonnes nouvelles, soulignées par Maxime Laplante : l'importance aujourd'hui apportée aux questions agricoles dans les médias, «alors qu'il y a 15 ans, le mot "paysan" était synonyme d'arriéré mental.» Et la proportion grimpante de femmes dans la relève agricole : elle s'élève aujourd'hui à 32 %.

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