Durant le Forum social mondial, le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) a occupé le devant de la scène et a eu l'occasion de parler de sa raison d'être, à savoir faire pression sur Israël pour que l'État juif respecte les droits des Palestiniens. Il s'est aussi attiré des critiques : la Coalition Avenir Québec (CAQ) a notamment demandé le retrait de la subvention gouvernementale au FSM, en partie à cause de la présence de BDS. Mais les militant-es ont l'habitude du dénigrement de leur mouvement, voire de sa répression.
Plusieurs militant-es de la campagne internationale se sont réunis au cégep du Vieux-Montréal pour partager leurs expériences dans leurs pays respectifs. Membre de BDS Québec, Lorraine Guay note une diabolisation de longue date de la mobilisation par le milieu politique. Celle-ci n’a pas faibli, loin de là, avec l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau. En témoigne cette motion votée à Ottawa en février dernier pour condamner le mouvement BDS, proposée par le Parti conservateur et appuyée par une majorité M. Trudeau en tête.
«Justin Trudeau a continué les politiques de Harper, explique Mme Guay, à savoir un parti-pris total pour Israël, qu’il a affirmé dès ses premières prises de parole sur cette question. En novembre, il a dénoncé la position de l’Union européenne sur l’étiquetage des produits originaires des colonies.» Elle déplore l’amalgame entre BDS et antisémitisme, martelé depuis les années Harper, à tel point que, selon elle, il pénètre l’opinion publique.
Aux États-Unis, une pression permanente
Les attaques contre BDS au Canada restent toutefois bien peu de choses par rapport à ce qui se passe dans d’autres pays, à commencer par le voisin états-unien. David Mandel, de Jewish voice for peace, note de nombreuses attaques émanant d’«organisations sionistes»sur les campus. On parle ici de pressions exercées pour annuler des événements pro-palestiniens, mais aussi d’intimidation envers certain-es étudiant-es. Une organisation académique, l’American Studies Association, s’est positionnée en faveur du boycottage. Elle a été victime de plusieurs plaintes, auprès du fisc d’abord (concernant ses exemptions d’impôt), et plus récemment devant les tribunaux.
«Aux États-Unis, le Premier amendement [garantissant la liberté d’expression] est une fierté nationale, soutient M. Mandel. Le boycottage a souvent été utilisé pour des raisons politiques, que ce soit contre l’esclavage, pour les droits civiques ou contre l’apartheid en Afrique du Sud… Mais il y a ce que j’appelle l’exception palestinienne à la liberté d’expression.»
Plus inquiétant encore selon lui, de nombreux États utilisent l’arsenal législatif pour attaquer le mouvement. Au moins six d’entre eux ont ainsi adopté des lois qui interdisent aux entreprises pro-boycottage d’obtenir des contrats ou des investissements publics. En Californie, où vit David Mandel, une loi est encore en débat. Le militant est membre d’une coalition unissant des groupes pro-BDS et pro-liberté d’expression, qui conteste cette loi. «La loi dit : si tu boycottes Israël, la Californie va te boycotter. Nous, on pense qu’on ne peut pas couper les fonds d’une église qui nourrit les sans-abri parce qu’elle boycotte les produits israéliens. C’est illégal.»
Cette contestation a un certain succès : la loi a déjà été réécrite quatre fois, et ne fait plus spécifiquement mention d’Israël…
France : militer dans l’illégalité
En France, les poursuites en justice contre les militant-es BDS se sont multipliées au cours des dernières années, notamment depuis 2010 lorsque la ministre de la Justice d’alors, Michèle Alliot-Marie, a envoyé une circulaire (consigne interne) aux procureurs. En octobre 2015, la Cour de cassation, plus haut tribunal du pays, confirme la condamnation en envoyant une lourde amende à 14 membres du mouvement BDS pour avoir distribué des tracts dans un supermarché alsacien. Concrètement, l’appel au boycottage d’Israël est aujourd’hui interdit en France, car il s’agirait d’une incitation à la discrimination contre une nation.
Jean-Pierre Bouché en sait quelque chose, puisqu’il fait partie des «Quatre de Toulouse» qui attendent leur procès pour cette raison. S’exprimant très peu sur son cas personnel, il décrit l’atmosphère viciée qui règne dans les rues de celle qu’on surnomme la «Ville rose» . Il y a la traditionnelle propagande balourde, comme ces affiches sur lesquelles s’étale le message «BDS = Merah» – du nom de ce terroriste toulousain ayant assassiné sept personnes, dont trois enfants juifs, en 2012. Il y a aussi l’existence d’un «commando sioniste», selon les mots de M. Bouché, utilisant les mêmes méthodes que la Ligue de défense juive. Mais il y a surtout une administration municipale intransigeante : «Le maire de Toulouse a fait passer un vœu dénonçant le mouvement BDS et encourageant la municipalité – c’est-à-dire lui-même – à interdire toute attribution de salle à des événements où la campagne BDS peut être évoquée», témoigne le militant.
«Mon sentiment, conclut, Jean-Pierre Bouché, c’est que dans le contexte actuel de la politique israélienne et de son évolution, ce n’est pas seulement BDS qui est visé, mais l’évocation de tout ce qui concerne les droits des Palestinien-nes.» Comme ses compagnons Lorraine Guay et David Mandel, il souhaite que son mouvement réalise les coalitions les plus larges possible, pas nécessairement en soutien au boycottage d’Israël, mais plutôt pour défendre la liberté d’expression.