Ricochet profite des discussions qui ont eu lieu autour du capacitisme pendant le Forum social mondial pour lancer une série d'articles sur les enjeux des personnes vivant avec un handicap au Québec, qui seront publiés ponctuellement.
Pour des centaines de milliers de Montréalais et de Montréalaises, se rendre au Complexe Desjardins dans le centre-ville n’est pas compliqué. Il s'agit de prendre la ligne verte du métro et de sortir à la station Place-des-Arts. Mais pour Marie-Ève Veilleux, cofondatrice de l’association Québec Accessible, et des milliers d’autres qui, comme elle, se déplacent en fauteuil roulant, c’est une vraie épreuve.
La triste ironie de tenir une conférence sur la discrimination à l’égard des personnes vivant avec un handicap, ou le capacitisme, dans un lieu difficile d’accès, n’a pas échappé à Marie-Ève Veilleux.
«Certains d’entre vous sont arrivés en métro après un parcours probablement assez paisible», lance d’entrée de jeu la militante, qui s’est adressée à un public ayant des limitations physiques diverses, certaines personnes étant en chaise roulante, d’autres ayant des cannes blanches ou des aides auditives.
«D’autres n’ont pas pu utiliser ce moyen de transport, parce que la station Place-des-Arts, qui est pourtant au cœur de la vie montréalaise, est inaccessible aux personnes qui ne peuvent pas utiliser des escaliers», a ajouté Veilleux. Des décennies de militantisme par des Montréalais et des Montréalaises vivant avec des limitations physiques ont fait en sorte que les trois stations de métro de la ligne orange ouvertes en 2007 sont accessibles aux personnes en chaise roulante, mais l’installation des ascenseurs dans les stations existantes se fait très lentement. Il en va de même pour les bâtiments publics et les commerces. «Même si les bâtiments nouvellement construits doivent être accessibles, une inspection spécifique à l’accessibilité aura lieu seulement si un client ou une cliente porte plainte pour les anciens, explique Marie-Ève Veilleux. Et les propriétaires des bâtiments historiques ne sont pas obligés de les adapter. On dirait que souvent, le patrimoine passe avant l’accessibilité» se désole la jeune femme.
«C’est vraiment en arrivant à Montréal, quand j’y suis venue pour faire mon Cégep, que j’ai constaté l’ampleur des barrières», ajoute Laurence Parent, collaboratrice de Veilleux. «J’ai étudié à l’UQAM quand la station Berri-UQAM n’avait pas encore d’ascenseur, alors je me suis arrangée avec le transport adapté. À l’époque, je n’avais pas pleinement réalisé que ce que je vivais, c’était de la discrimination.»
De nombreuses barrières
Pour beaucoup, les barrières physiques sont seulement une partie des obstacles à surmonter. Les idées reçues sur les personnes vivant avec un handicap ont fait beaucoup de dégâts. L’animateur et écrivain Lawrence Carter-Long, qui vit avec une paralysie cérébrale, explique : «Saviez-vous qu’il est encore légal de payer des personnes avec des déficiences moins que le salaire minimum dans un atelier? C’est ça, le capacitisme. [forme de discrimination, de préjugé ou de traitement défavorable contre les personnes vivant un handicap.] Essayez d’avoir un entretien d’embauche en tant que personne vivant avec un handicap, et vous rencontrerez le capacitisme, que ce soit fait exprès ou pas.[...] La discrimination est plus subtile mais bien réelle.»
Des mots pour en parler
«Le langage aussi peut être très chargé», ajoute Laurence Parent. Pour ne citer qu’un exemple, je ne suis pas "confinée" à une chaise roulante. Je suis plutôt "libérée" par ma chaise roulante, car c’est elle qui me permet de me déplacer» explique-t-elle.
Pendant longtemps, selon Laurence Parent, il n’y avait pas de mot en français pour décrire de tels traitements subtils et blessants liés au capacitisme. «Alors, c’est souvent passé sous les radars, même pour des personnes très progressistes. Il n’est pas évident de dénoncer quelque chose qui est difficile à décrire. Tous les mouvements des personnes marginalisées sont passés par là; il y avait aussi un moment où le mot "sexisme" n’existait pas. Mais quand on le nomme, on peut le critiquer.»
«On peut critiquer beaucoup de choses ; les coupures dans le service à domicile, le fait que des jeunes personnes vivant avec un handicap continuent de vivre en CHSLD, la violence à leur égard, les personnes qui ne peuvent pas quitter leurs agresseur-es parce qu’elles n’auraient pas de services autrement, dit Laurence Parent. On peut également dénoncer le fait que l’Office des personnes handicapées du Québec n’a eu qu’une seule directrice handicapée depuis sa fondation en 1968. Serait-ce acceptable que l’Office québécois de la langue française ait une directrice unilingue anglophone? Ce serait complètement illogique, alors pourquoi accepte-t-on que cet office soit dirigé par une personne non handicapée?» demande-t-elle.
«Penser à [la fin du] capacitisme, c’est penser à comment changer la société pour lutter contre la dévalorisation des personnes vivant avec un handicap, de ne pas tant lutter contre nos handicaps, mais contre la société qui essaie de nous effacer» a conclu la militante.