La lutte contre l’oléoduc Énergie Est a rapidement remporté la médaille de la campagne climatique la plus efficace de l’histoire du Canada. Les mobilisations au Manitoba, en Ontario, dans les Maritimes et, surtout, au Québec, ont surpris le reste du pays (et du monde). Les opposants se sont avérés des adversaires de taille pour TransCanada et pour le peu crédible Office National de l’Énergie (ONÉ).
Un reportage récent paru dans Bloomberg business est venu confirmer par ailleurs une rumeur qui circulait depuis des mois dans les cercles militants : le premier ministre Justin Trudeau veut absolument approuver au moins un projet d’oléoduc dans son premier mandant. Peu importe lequel, il lui en faut un!
Pour ceux parmi nous qui essaient de bloquer l’autre mégaprojet d’oléoduc au pays, le projet Trans Mountain de Kinder Morgan dans l’Ouest canadien, c’est une bien mauvaise nouvelle.
Rappelons que cet oléoduc doit transporter une grande quantité de pétrole des sables bitumineux de l’Alberta jusqu’à l’Océan Pacifique, où il sera chargé dans d’immenses pétroliers au large des côtes de Vancouver et de la Colombie-Britannique.

Actuellement, la force de l’opposition à Énergie Est dans l’Est du pays laisse présager que Justin Trudeau approuvera le projet Trains Mountain… À moins que nous ne changions rapidement la dynamique politique.
TransCanada s’est mis tout le Québec à dos
Je suis conseiller senior pour une campagne contre les sables bitumineux depuis près de 5 ans. Lorsqu’il a été question la première fois d’Énergie Est, nous étions déjà «dans le pétrole jusqu’au cou» avec Northern Gateway, la ligne 9 d’Enbridge, Keystone XL et Kinder Morgan. Je ne peux pas dire que nous étions très enthousiastes à l’idée de nous battre contre un nouvel oléoduc.
Puis, quelque chose est arrivé. En seulement quelques mois, la géante albertaine TransCanada a réussi à se mettre remarquablement à dos «la belle province». Visiblement, la pétrolière n’avait pas appris de ses erreurs au sud de la frontière avec Keystone XL.
S’il existe un guide sur la meilleure façon pour une compagnie anglophone à l’attitude coloniale de rater complètement ses relations publiques, parions que les dirigeants de TransCanada l’ont étudié par cœur.
Désormais, ils sont persona non grata au Québec et ils le savent.
Kinder Morgan, le pipeline «raisonnable»
Ça ne prend pas un génie pour comprendre qu’un Québec bleu de colère, avec ses 78 sièges, est beaucoup plus dangereux à défier qu’une Colombie-Britannique dont la population est devenue lasse de l’éternel combat contre les oléoducs et dont seuls 22 comtés seraient affectés directement par le projet Trans Mountain.
C’est pourquoi le projet de Kinder Morgan est vu désormais par l’élite économique de Toronto comme le «projet raisonnable»… Si on oublie la crise climatique, les droits des communautés autochtones et les déversements!
Ailleurs au Canada, on ne cesse d’entendre des choses comme : «ce n’est que le doublement d’un pipeline existant!» (le projet doit en fait tripler la capacité de l’oléoduc et multiplier par 7 le nombre de pétroliers sur la côte ouest); «Le pipeline est opéré depuis 50 ans sans accident» (on ne compte probablement pas les 1,5 million de litres déversés depuis 20 ans); «On doit aider nos amis albertains» (en dépit des faibles prix du pétrole et de l’accord de Paris).
Pourquoi Trudeau va approuver Kinder Morgan
En vérité, Ottawa, Victoria et Edmonton planifieraient depuis longtemps l’approbation du projet Trans Mountain de Kinder Morgan. Et les événements de la dernière année semblent appuyer cette thèse.
Alors que Trudeau faisait campagne, il a promis une reprise depuis le début de la totalité des processus d’évaluation des pipelines en cours à l’ONÉ. Cette déclaration a d’ailleurs été enregistrée. Malheureusement, ce n’est pas exactement ce qui s’est passé.
Ce printemps, le gouvernement a plutôt annoncé un processus d’évaluation «supplémentaire» où un panel de trois personnes avec absolument aucun pouvoir (mais dont la présidente a travaillé pour Kinder Morgan et est lobbyiste pour l’industrie du gaz naturel liquéfié a été mandaté pour une série de consultations publiques avec les citoyens écartés par le processus régulier de l’ONÉ.
Malgré l’improvisation manifeste du gouvernement fédéral, les citoyens de la Colombie-Britannique ont participé aux consultations et ont clairement fait savoir qu’ils étaient opposés au projet Trans Mountain (91% des participants au total, 100% pour Burnaby, North Vancouver, Vancouver and Victoria).
Cela dit, la présidente du panel a indiqué au Globe and Mail que le message numéro #1 des consultations était «l’impatience de l’industrie par rapport aux processus d’approbation trop longs». Voilà comment on peut travestir les résultats d’une consultation lorsqu’aucune trace de ce qui y a été dit n’est conservée.
À sa décharge, le gouvernement fédéral va annoncer à l’automne un moratoire sur les pétroliers le long de la côte nord de la Colombie-Britannique, ce qui pourrait enterrer pour de bon le projet d’oléoduc Northern Gateway d’Enbridge. Malheureusement, Ottawa a également indiqué que ce moratoire faisait partie d’une «stratégie côtière pour protéger l’environnement, tout en utilisant les ports de la côte ouest pour dynamiser l’économie nationale». Il a été aussi mentionné à plusieurs reprises à quel point, le port de Vancouver était important et sécuritaire. Cela n’augure rien de bon.
Alors que Kinder Morgan et le gouvernement fédéral travaillent fort pour «consulter» les communautés autochtones sur le tracé du pipeline, ils travaillent encore plus fort pour minimiser une autre de leur grande faiblesse : les déversements — fréquents, toxiques, coûteux et difficiles à nettoyer.
Il y a deux semaines, un investissement de 200 millions $ a été annoncé par le Western Canada Marine Response Corporation (en partie détenu par Kinder Morgan) afin d’améliorer les interventions sur la côte en cas de déversement. Le hic? Cet investissement verra le jour seulement si le projet Trans Mountain est approuvé!
Encore une fois, cela apparaît bien raisonnable… Si on ignore le fait que le pétrole des sables bitumineux a tendance à couler au fond de l’océan et qu’il ne peut être récupéré avec les technologies actuelles — ou que l’industrie considère que récupérer 15 % d’un déversement est un exploit de classe mondiale.
Alors, comment stopper ce projet avant décembre?
Une coalition très efficace de groupes citoyens et environnementaux, de communautés autochtones, de municipalités et de gens d’affaires travaille d’arrache-pied pour stopper Kinder Morgan depuis des années. Jusqu’ici, nous avons mené une campagne efficace, mais nous arrivons maintenant à la manche finale.
L’industrie pétrolière est pratiquement aussi proche du gouvernement fédéral qu’elle ne l’était à l’époque de Harper. Qu’importe le coût, il nous faudra aussi faire entendre notre opposition à Ottawa par des pétitions, un lobby citoyen et d’autres actions.
Plusieurs militants ont réalisé depuis belle lurette que les dés étaient pipés et se sont préparés à une escalade des moyens — du genre de ceux qui ont mené aux arrestations spectaculaires à Burnaby Mountain en 2014. Selon des rumeurs, une ONG internationale aurait déjà une liste de 400 personnes prêtes à des actions de désobéissance civile contre le projet Trans Mountain et aucune annonce n’a encore été faite publiquement de la part du gouvernement. Si Trudeau veut d’un autre dossier brûlant dans son rétroviseur, tous les éléments sont en place.
Dans les prochaines semaines, nous continuerons de conscientiser les gens de la Colombie-Britannique sur cet enjeu et de faire pression sur notre première ministre pour qu’elle se montre ferme au sujet des conditions imposées par la province à Kinder Morgan. Vous entendrez également de plus en plus parler de la dernière population d’orques de la côte sud de la Colombie-Britannique et de la manière dont une multiplication par 7 du trafic des pétroliers dans la mer des Salish conduira à leur disparition certaine.
Mais cela risque de ne pas être suffisant.
Nous devons faire front commun contre les oléoducs
Quiconque porte attention à la vitesse à laquelle le climat change sait qu’il est suicidaire de construire de nouvelles infrastructures pétrolières, alors que l’on doit déployer des efforts colossaux pour réduire nos émissions de GES, dès maintenant. Juillet et août derniers ont été les mois les plus chauds jamais enregistrés. N’est-ce pas suffisant pour réveiller un premier ministre qui a indiqué aux délégués à la Conférence de Paris l’an dernier que le Canada était prêt à en faire davantage en matière de climat? Justin Trudeau croit-il vraiment qu’on s’occupe de climat en construisant de nouveaux pipelines?
Nous avons un dernier espoir : que les militants du Québec, des maritimes et de l’Ontario intègrent Kinder Morgan à leur combat contre Énergie Est. Stopper Énergie Est ne sera pas une vraie victoire si cela se fait aux dépens de la Colombie-Britannique et échange de l’approbation de l’oléoduc Trans Mountain.
Ce qui changera le calcul politique à Ottawa, c’est l’avènement d’un front uni de Canadiens et de Québécois, rassemblés derrière le leadership des peuples autochtones contre les oléoducs. Un mouvement pancanadien de résistance qui dit «aucun pipeline après Paris, point final. Pas dans ma cour. Pas dans la cour de personne».
Si Trudeau et son secrétaire principal Gerry Butts commencent à voir l’approbation de Kinder Morgan non seulement comme électoralement dommageable en Colombie-Britannique, mais partout au pays, cela pourrait changer la donne. Et sauver les côtes de la Colombie-Britannique de l’appétit insatiable de l’industrie pétrolière.