Ricochet a voulu attendre avant de réagir à la fusillade d'Ottawa et les événements de Saint-Jean-sur-Richelieu. Nous avons fait le pari de laisser la poussière retomber, la cacophonie s'éteindre.
Les derniers jours nous auront donné raison. Bien sûr, il faut condamner sans appel des actes lâches et inutiles. Ensuite, il faut les expliquer. Prendre le temps de comprendre les motivations de Martin Couture-Rouleau et Michael Zehaf-Bibeau au lieu de les traiter comme des soldats de plomb de l'État Islamique.
Quel est le rôle d'un gouvernement dans un moment de crise? Celui de s'élever au-dessus de la mêlée et de « faire de la sociologie », pour faire écho aux railleries de Stephen Harper. Force est d’admettre qu'il a failli une fois de plus à sa responsabilité.
Le projet de loi déposé lundi matin par le ministre de la Sécurité publique, Steven Blainey, érode encore un peu plus les libertés civiles des Canadiens et Canadiennes, en renforçant le pouvoir de surveillance du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).
Le SCRS pourra maintenant poursuivre ses activités de surveillance à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, en partageant ses informations et ses ressources avec des agences des États-Unis, de l'Angleterre, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande.
Ces projets de loi - une deuxième série de réformes n'a pas encore été annoncée - avaient été annoncés avant les événements. Aujourd'hui, ils ont acquis un vernis de légitimité. D’autres agences sautent même sur l’occasion pour demander plus de pouvoirs.
La rhétorique polarisante du Premier ministre Stephen Harper et de ses collègues accélère la dérive sécuritaire amorcée depuis le 11 septembre 2001. Elle renforce l'acceptabilité sociale des frappes aériennes menées par le Canada en Irak et en Syrie contre l'État Islamique à ce jour.
Pourtant, l'État Islamique est loin d'être à nos portes.
Les médias traditionnels, dans leur couverture effrénée de l'événement le 22 octobre, ont accordé trop de place à ceux et celles se servent à leurs fins des morts inutiles de Nathan Cirillo et de Patrick Vincent.
Le journaliste américain Glenn Greenwald, en entrevue avec l'édition anglophone de Ricochet, rappelle que la fusillade d'Ottawa n'était pas imprévisible, après 13 ans d'engagement militaire canadien à l'étranger.
Pourtant, comme Marc Lépine et Kimveer Gill avant lui, Michael Zehaf-Bibeau a agi seul, commettant un geste désespéré au nom d'un idéal confus. Sa mère a confirmé qu’il souffrait d’un problème de santé mentale. Au lieu de mener une guerre de clocher contre la « radicalisation islamiste », pourquoi ne pas investir dans la prévention des maladies mentales?
De nombreux chroniqueurs ont crié au terrorisme. Ils étaient moins nombreux à crier au psychologue.
D'autres se sont servis de la tragédie pour stigmatiser la communauté musulmane. On aurait pu s'attendre à un peu de retenue de la part des tenants de la Charte des valeurs québécoises après leur échec électoral. C'était trop espérer.
Beaucoup ont fait écho à la rhétorique du gouvernement Harper. Ils sont complices des gestes haineux posés à Cold Lake, en Alberta, où une mosquée a été vandalisée dans la nuit du 23 octobre. Ils sont complices de la violence verbale d’un conducteur qui aurait crié « terroriste » à la candidate municipale torontoise Munira Abukar.
Ricochet refuse de crier au loup. Garder la tête froide, en ces moments de cacophonie médiatique, est essentiel. Plus que jamais, nous devons rester vigilants, et, surtout, faire l'économie de la haine.