Nakuset, directrice de l’Abri des femmes autochtones de Montréal et codirectrice du Réseau pour la stratégie urbaine de la communauté autochtone de Montréal, n’a pas beaucoup de temps pour discuter. «J’ai reçu un appel aujourd’hui même concernant une femme dont on a perdu la trace,» dit-elle. «Ça n’arrive pas tous les jours, mais c’est fréquent.»

Un programme conjoint développé par le Réseau, en collaboration avec le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM), vise à réduire la vulnérabilité des femmes autochtones et à empêcher les disparitions. Les objectifs du programme, dont l’entente initiale a été signée en juin 2015, sont de développer un nouveau protocole pour la gestion des disparitions des femmes autochtones, bonifier la formation donnée aux policiers et encadrer les femmes autochtones nouvellement arrivées en ville dès leur arrivée.

«Si une femme autochtone est portée disparue, elle a plus de chances d’être trouvée morte qu’une non-autochtone,» dit Alana Boileau, coordonnatrice de justice et sécurité publique chez Femmes autochtones du Québec, qui a également travaillé sur le développement du protocole. «Il faut qu’on puisse les trouver plus vite [si elles disparaissent], qu’elles n’aient pas peur de communiquer avec les autorités et qu’elles soient accompagnées.»

Si une femme autochtone est portée disparue, elle a plus de chances d’être trouvée morte qu’une non-autochtone

Parallèlement [un investissement de 8,9 millions $ du gouvernement du Québec] (http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2016/10/17/001-un-an-apres-femmes-autochtones-val-dor-poiciers-emission-enquete.shtml), déjà réservé dans le plus récent budget, mais annoncé aujourd’hui, vise à donner aux organismes communautaires les moyens pour combattre l’itinérance et l’isolement chez les Autochtones en milieu urbain. Chantal Gauvin, porte-parole du ministre responsable des Affaires autochtones du Québec, Geoffrey Kelley, précise que de cette enveloppe, 5 millions $ sont destinés aux «services qui touchent les M et Mme Tout-le-Monde dans le besoin.» Le reste vise l’entretien des infrastructures des organismes de service. Les organismes de soutien eux-mêmes, tels les Centres communautaires de l’Amitié et les abris pour personnes vulnérables, sont invités à proposer des programmes précis, qui passeront ensuite par un processus de sélection géré par le Secrétariat aux affaires autochtones du Québec.

«Il y a une croissance des migrations des Autochtones vers les centres urbains, non seulement à Montréal, mais à Québec, à Val-d’Or et à Saguenay,»

«Il y a une croissance des migrations des Autochtones vers les centres urbains, non seulement à Montréal, mais à Québec, à Val-d’Or et à Saguenay,» dit Gauvin. «Les besoins sont de plus en plus grands, et il faut répondre aux besoins de ces communautés.»

Les femmes qui font cette migration vers la ville se trouvent souvent en situation de vulnérabilité. «Beaucoup de femmes [du Nord] viennent ici pour se faire soigner. Elles décident de rester parce qu’elles voient que la vie est moins chère,» explique Nakuset. «Mais elles ne trouvent pas de travail, elles ne se rendent pas compte de l’importance du français, elles vivent de la discrimination… elles viennent en ayant beaucoup d’espoirs, et se ramassent dans la rue.»

Chapman, directeur par intérim du centre de jour La Porte ouverte, qui dessert une large clientèle inuite, explique que d’après lui, «il faudrait mettre plus d’emphase sur l’éducation des policiers.» Selon Carlo DeAngelis, responsable de liaison avec la communauté autochtone au SPVM, environ 700 officiers ont reçu une formation sur le contexte culturel autochtone à ce jour. Le but du programme est de fournir une formation de huit heures à chaque membre du service de police et à chaque employé(e) d’un centre de répartition du 911. Nakuset et DeAngelis espèrent que ce sera possible d’ici ce printemps.

«Certains officiers disent : «On ne veut rien savoir de l’histoire, on veut savoir quoi faire quand on tombe sur un Indien saoul», mais quand on leur parle des pensionnats, des traumatismes intergénérationnels… ils sont estomaqués,» dit Nakuset. «Après, ils ne peuvent pas dire qu’ils ne savaient pas, et ils peuvent être plus effectifs. On l’a déjà constaté.»

Le financement ; le nerf de la guerre

Le Réseau cherche actuellement un financement de Condition féminine Canada d’un peu plus de 200 000 $ sur trois ans, pour mettre en œuvre l’ensemble du programme, afin de bonifier les modules de formation et embaucher une responsable de liaison, qui ferait le lien entre la police, les organismes communautaires et les familles des disparues. L’embauche de cette employée à temps plein serait «le dernier morceau manquant,» selon Alana Boileau.

«Souvent, quand on perd la trace d’une personne autochtone, la dernière chose qu’on veut faire, c’est appeler la police, surtout si la personne avait affaire avec la prostitution ou la drogue,» dit Nakuset. «Si les familles ont peur d’avertir les autorités, elles pourront appeler la responsable de liaison directement. Les organismes, qui sont normalement liés par des politiques de confidentialité, pourraient alors dire quand ils ont vu quelqu’un pour la dernière fois.»

Souvent, quand on perd la trace d’une personne autochtone, la dernière chose qu’on veut faire, c’est appeler la police, surtout si la personne avait affaire avec la prostitution ou la drogue

La responsable de liaison assurerait aussi un travail en amont, aidant des femmes nouvellement arrivées à développer un réseau en ville. «Quand les femmes arrivent ici, souvent elles passent par la station d’autobus,» dit Nakuset. «On veut avoir un kiosque où on peut dire aux femmes qui arrivent : «D’où viens-tu? Que fais-tu ici? Voici les services disponibles.» Mais ce volet du projet est sur la glace. «Nous n’avons pas la main-d’œuvre pour tout faire.» Nakuset espère également que l’investissement provincial contribuera à résoudre ce problème; elle voudrait embaucher une nouvelle personne dans son équipe.

«La nature des initiatives dans ce milieu, c’est qu’elles sont constamment à la recherche du financement, dit David Chapman, alors tout bouge moins vite. Mais pendant qu’on bouge lentement, des gens sont en danger.»