Mais à la différence du sort réservé aux femmes autochtones de chez nous, une distance physique nous sépare du destin des travailleuses des maquiladoras au Mexique, bien que tout indique que nos grille-pains, téléviseurs et autres vêtements « Hecho en Mexico » (faits au Mexique) participent au problème.

C’est à réduire cette distance physique, qui finit par être psychologique, que nous convient le Théâtre de Quat’sous, l’auteure Suzanne Lebeau, le metteur en scène Gervais Gaudreault, et la comédienne Linda Laplante, qui campe, tout au long de la pièce Chaîne de montage, cette femme nord-américaine qui prend sur ses épaules tout le poids de ce drame humain.

Entre le documentaire et le théâtre, malheureusement, la pièce n’arrive ni à être du bon documentaire ni du bon théâtre.

Entre le documentaire et le théâtre, malheureusement, la pièce n’arrive ni à être du bon documentaire ni du bon théâtre. Alors que les familles des victimes cherchent peut-être encore le corps de leurs filles disparues, le spectateur cherchera le théâtre, dans ce texte faible qui, de nomenclatures en statistiques, ressemble parfois à la lecture d’une page Wikipédia sur le sujet. On nous décrit le drame de ces femmes, que l’on tente de personnifier en leur donnant des noms, des âges et des dates de décès, mais on ne réussit pas à nous les sortir du générique. On échoue à nous transmettre l’histoire de chacune de ses femmes, qui nous sont présentées comme un paquet de drames placés sur une carte de Ciudad Juárez. La comédienne Linda Laplante aura beau incarner toute la consternation, la désolation, l’impuissance qu’elle voudra, elle ne parviendra pas à briser la distance qui nous sépare de ces femmes.

Le problème ne vient pas du jeu – très senti et appuyé – de la comédienne, mais plutôt du choix de médium. Le théâtre peut-il faire passer des messages aussi importants et complexes que les conséquences de l’ALENA sur les populations les moins bien protégées par cet accord? L’ATSA (Action terroriste socialement acceptable) avait aussi tenté de conscientiser aux inégalités sociales des spectateurs probablement déjà convaincus lors de la présentation en 2013 de Se mettre dans l’eau chaude, à l’Espace Libre. La réflexion était simpliste et la poésie, absente.

Il est certainement possible de présenter un théâtre engagé, mais l’exercice est périlleux.

Il est certainement possible de présenter un théâtre engagé, mais l’exercice est périlleux. On n’y parviendra certainement pas un nous conviant à un exposé oral sur la question, comme le fait un peu Chaîne de montage. La réflexion qui en découle ne peut être que simpliste : oui, nous avons tous déjà réfléchi au fait que l’achat d’articles à rabais fabriqués dans les pays en développement avait des conséquences sur des populations vulnérables et oui, nous nous sommes tous déjà sentis impuissants bien que responsables devant cette souffrance à distance. À ce titre, le drame vécu par les familles de Ciudad Juárez en est un parmi d’autres dans cette chaîne de montage d’une problématique mondiale. Il ne faudrait pas montrer à la protagoniste des images des usines d’Apple en Chine où a été fabriqué le iPhone sur lequel elle lit des extraits de l’Internet : elle ne s’en remettrait pas.

Reste en plan toute la réflexion sur le changement de paradigme nécessaire. La pièce, elle, nous laisse devant le constat tragique de l’impuissance de la protagoniste et, par le fait même, de la nôtre. Mais ça, on le sait déjà. Si l’on pousse un peu sa réflexion personnelle au sortir de la pièce, on pourra à tout le moins se compter chanceux d’avoir le privilège de voir une pièce qui nous laisse sur notre appétit, alors que d’autres ont à peine de quoi manger. Pour l’auteure, ce sera déjà ça d’accompli, j’imagine.

Chaîne de Montage, mis en scène par Gervais Gaudreault, avec Linda Laplante. À l’affiche du Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 21 novembre 2014.