États-Unis

Ère Trump: la fin d’un début

Photo: Kayle Kaupanger

Si Kipling était vivant aujourd’hui, aurait-il écrit «Le fardeau de l'homme orange»? C’est la question que je me suis posée alors que se cristallisait le début de l’ère Trump à la tête d’un empire américain qui poursuit sa longue descente vers le mauvais côté de l’Histoire. À l’instar de l’esprit du poème écrit en 1899 par l’auteur-phare du colonialisme britannique, la présidence Trump évoque le retour de l’exceptionnalisme américain décomplexé, sauce «Make America Great Again». Un impérialisme dissimulé derrière un isolationnisme de façade.

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Ceux et celles qui l’ont porté au pouvoir s’attendent encore à un ménage herculéen qui nettoiera les écuries d’Augias que représentent la mainmise des «élites» sur les arcanes du pouvoir qui, lui, sera «redonné au peuple». Trump cherche ainsi à évoquer les «belles années» de la présidence de Ronald Reagan. L’aile droite du Parti républicain cherche depuis des années à réécrire l’histoire du pays pour faire de cet ex-acteur de série B converti en panneau-réclame de General Electric puis de Wall Street le plus grand des présidents, dont l’héritage surclasserait celui de Kennedy et de Franklin Roosevelt.

Une présidence qui perpétue la domination des puissants

Mais à voir le nombre d’anciens grands banquiers, de capitaines de l'industrie de l'énergie fossile et de vieux faucons impérialistes occuper les plus hauts postes de la nouvelle administration, je me demande vraiment quel niveau de dissonance il faut atteindre pour encore croire que Donald Trump est ce président du peuple qui a vaincu l'establishment en place.

Déjà, le ton est donné : la présidence Trump sera une incarnation politique du monstre de Frankenstein. Elle empruntera à Nixon le refus d’imputabilité – à l’image de son prédécesseur, qui croyait que le président des États-Unis ne pouvait rien faire d’illégal, Trump s’imagine immunisé contre les conflits d’intérêts. De Reagan, elle singera la consolidation des liens entre la Maison-Blanche et Wall Street, de même que l’écrasement des classes ouvrières et des minorités, le tout étant caché derrière un voile de patriotisme exacerbé par une hypocrite ferveur religieuse. On y trouvera aussi un appétit pour le néo-conservatisme et l’unilatéralisme des administrations Bush.

Un niveau de dissonance qui ne peut que rivaliser avec celui nécessaire pour voir les Démocrates comme de réels progressistes. La commutation de peine accordée in extremis à Chelsea Manning et la mise en place de l’Affordable Care Act, par exemple, ne sauraient occulter la poursuite d’une impitoyable politique militaire digne des pires va-t-en-guerre républicains, marquée par le largage de plus de 16 000 bombes, des changements de régime et le financement de milices armées plus ou moins alliées à des groupes terroristes qui ont complètement déstabilisé le Moyen-Orient et l’Afrique du nord. Puis, un octroi de 38 milliards de dollars d’aide militaire à Israël, tout cela au nom du realpolitik si cher au sempiternel maître à penser du Secrétariat d’État, Henry Kissinger.

Sur les ondes de Democracy Now!, Naomi Klein évoquait un coup d’État corporatif. Bien sûr, mais ça fait longtemps que ça dure! En 2008, Le plan Paulson était adopté au Sénat avec le concours des Démocrates, après avoir été défait une première fois en Chambre. Une «job de bras» signée Henry Paulson, alors Secrétaire du trésor au crépuscule de l’administration Bush et ex-PDG de Goldman Sachs. Une remise des clés du trésor public américain aux grandes banques, décrit par la représentante du 9e district de l'Ohio, Marcy Kaptur, comme un «coup d'État de la haute finance». En 2010, le plan Dodd-Frank (dont les provisions favorisaient les grandes banques au détriment des petites) était adopté au Congrès, salué à l’époque par le plus grand lobby de Wall Street. Un projet de loi peaufiné par deux sénateurs démocrates. La même année, Citizens United v. FEC mettait fin aux plafonds de financement politique et pavé la voie aux Koch, Adelson et autres milliardaires en mode magasinage de politiciens qui pouvaient désormais afficher publiquement leurs étiquettes de prix.

Sur les ondes de Democracy Now!, Naomi Klein évoquait un coup d’État corporatif. Bien sûr, mais ça fait longtemps que ça dure!

Et du fin fond des crevasses du pouvoir, l’État profond cherche à se dresser en défenseur de la république alors qu’il n’est que mû par son propre agenda. Il devra, plus que jamais, faire l’objet d’enquêtes de la part d’une presse forte et indépendante, aidée par des lanceurs d’alertes bien protégés. Une véritable dictature pourrait s’installer au sud de nos frontières sous des applaudissements dont le bruit joint celui des chaînes invisibles des sympathisants d’un kleptocrate devenu le plus récent pantin à cravate des maîtres, comme le rappellerait certainement La Boétie.

Finalement, on ne peut que constater que le propriétaire du commerce a simplement changé sa vitrine et remplacé son gérant. Et pour ajouter l’insulte à l’injure, Donald Trump a réussi, par son accession au pouvoir, la plus grande arnaque de sa carrière d’arnaqueur professionnel. Mais ne soyons pas dupes, tout ce qui se passe depuis déjà près d’un an se prépare depuis bien plus longtemps.

L'importance des résistances

Mais si les plus pessimistes y voient le début de la fin, j’y vois plutôt la fin d’un début. Le début d’une présidence contestée tous azimuts, sous le signe d’une Amérique divisée. Le début d’une résistance qui, depuis quelques années, prend forme au pays de l’Oncle Sam – l’éveil d’une jeunesse qu’on a pu voir au grand jour dans les rassemblements organisés par Bernie Sanders.

Le début de la consolidation de ces résistances, incarnées tant par la résurgence de la lutte pour les droits des minorités autant que par les combats des femmes et des Premières Nations, ainsi que par le développement d’une presse alternative indépendante, rigoureuse et de mieux en mieux structurée.

Un début qui doit faire tache d’huile – ici-même, des politiciens copient-collent déjà la recette Trump et celle-ci possède le même goût rance. La course à la chefferie du Parti Conservateur du Canada présente des candidats qui se réclament de ce type de politique-poubelle. Au Québec, Bernard Gauthier a compris le poids politique des déclarations outrancières dirigées vers un électorat aux inquiétudes diverses et réceptif à de fausses solutions que le caractère simple et drastique rend séduisantes? Déjà, l’attentat terroriste dans une mosquée de Québec révèle au grand jour le racisme décomplexé et la paranoïa de plusieurs figures politiques et médiatiques – elles se reconnaîtront.

Après les larmes, le combat.

Face à l’absurde, matériel ou philosophique, la révolte.

C’est aussi le début de cette chronique. Un rendez-vous régulier dans un espace de résistance qui sera imperméable aux faits alternatifs, accueilli par un média de plus en plus habitué aux guerres de tranchées.

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