Un des pères intellectuels du libéralisme économique, Adam Smith, a expliqué qu’il faut une police quand une société se divise entre riches et pauvres. La police est alors nécessaire pour que les riches puissent dormir en paix, la nuit. Dans notre société marquée par de fortes inégalités, il est donc illusoire de rêver abolir la police, car les politiciens et les riches (ce sont parfois les mêmes) ne le voudraient pas, ne le permettraient pas. Ils savent bien que la police est à leur service, qu’elle les protège.

La police est alors nécessaire pour que les riches puissent dormir en paix, la nuit.

Cela ne doit pas nous empêcher de rêver d’un monde sans police. En attendant, on peut même exiger qu’elle soit désarmée. Vous ne le savez peut-être pas, mais il y a eu quelques tentatives infructueuses pour lancer un débat à ce sujet au Québec. Qui se souvient du livre de Line Beauchesne et de Yves Dubé, au sous-titre évocateur : Désarmer la police : un débat qui n’a pas eu lieu (éditions Méridien, 1993)? Désarmer la police, c’est aussi l’espoir d’Edward Divers, le frère de Tony Divers, abattu en 2016 par des policiers d’Hamilton, alors qu’il était lui aussi en crise. Qui se souci de sa revendication? Aux États-Unis, le site DisarmThePolice.Com offre des pistes de réflexion intéressantes.

Il ne s’agit pas ici d’espérer lancer un débat à ce sujet, mais uniquement de faire prendre conscience qu’il est possible de penser à une police désarmée. Or cette prise de conscience n’est pas si facile à provoquer, et il semble y avoir quelques résistances, en particulier du côté de la police. En France, une «parade carnavalesque» du collectif Désarmons la police a tout simplement été interdite, en 2016, sous prétexte de crainte pour l’ordre public.

Pourtant, en Norvège, ce sont les policiers qui ont demandé — et obtenu — d’être à nouveau désarmés, après que le gouvernement les ait armés pendant un an suite à l’attentat perpétré par un néo-nazi qui avait tué près de 70 jeunes membres du Parti travailliste. Il y a bien maintenant quelques armes à feu dans des véhicules, par exemple, mais les agents norvégiens n’en trimballent pas sur eux.

Montréal n’est pas le Far West

Au fait, à quoi servent les armes à feu de la police, par exemple à Montréal?

Selon le dernier bilan annuel disponible du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), celui de l’année 2015, la police a eu recours à ses armes à feux lors d’un événement. Oui, oui : un! Les agents du SPVM ont alors tiré quatre coups de feu, et tué un citoyen (René Galand, 45 ans, armé d’un couteau).

L’année précédente, même scénario : un seul événement pendant toute l’année, quatre coups de feu, un citoyen décédé (Alain Magloire, un sans-abris en crise).

L’année 2013 a été doublement plus intense : la police a ouvert le feu lors de deux évènements. Oui : deux. Mais elle a fait feu moins souvent, tirant seulement trois coups, et tuant néanmoins un citoyen (les policiers disent avoir été alertés par des voisins qui craignaient que Robert Hénault, 70 ans, alors en crise, ne représente une menace pour sa propre vie; résultat, la police se présente au domicile, constate qu’il manie un couteau, lui tire dessus — l’homme meurt de ses blessures quelques jours plus tard).

En 2008, un policier a abattu le jeune Freddy Villanueva. La même année, un coup de feu a été tiré accidentellement par un agent, huit autres par un«policier en détresse psychologique». Tout cela n’est pas très rassurant…

Qu’en déduire?

Premièrement, avec un effectif d’environ 4500 policiers, un policier du SPVM a moins de 0,08% de «chance» d’utiliser son arme à feu par année (moins que ça, en réalité, car un seul policier a tiré toutes les balles dans la plupart des incidents, ne laissant pas ses collègues partager ses efforts). Environ 99,7% des policiers n’utiliseront donc jamais leur arme pendant toute leur carrière.

Deuxièmement, Montréal n’a rien d’un film de gangsters. La police du SPVM n’est pas prise dans des échanges de coups de feu contre de «vrais» criminels, par exemple des motards criminalisés ou des mafieux qui accueilleraient les policiers par une pluie de balles, comme dans les films. Ces dernières années, les coups de feu tirés par la police ont toujours visé des citoyens en crise qui ne possédaient pas d’arme à feu, et qui représentaient avant tout un danger pour eux-mêmes.

Troisièmement, voilà près de 15 ans qu’un policier a été tué à Montréal par un coup de feu — depuis lors, tous les policiers portent des gilets pare-balle. Dans la même période, la police a tué près de 30 citoyens (voir la liste sur le site de la Coalition contre la répression et les abus policiers).

Désarmer la police l’obligerait donc enfin à revoir ses protocoles d’intervention envers des personnes en situation de crise, sauvant probablement des dizaines de vies au fil des ans.

Désarmer la police l’obligerait donc enfin à revoir ses protocoles d’intervention envers des personnes en situation de crise, sauvant probablement des dizaines de vies au fil des ans.

En attendant, on devrait distribuer des vestes pare-balles aux sans-abris et aux personnes souffrant de troubles de santé mentale. Car les armes à feu de la police de Montréal n’ont d’autre utilité que de mettre leur vie en péril.

PS : Si vous y allez, je vous souhaite une bonne manifestation du 15 mars : cette année, le rassemblement aura lieu à 19h, Place Valois (coin Ontario et Valois). Information rassurante : l’an dernier, la police a laissé la manifestation prendre la rue sans chercher à arrêter tout le monde avant son départ.