Pourtant, les actes haineux contre les communautés musulmanes québécoises continuent de s’accumuler dans les derniers mois : envoi de colis haineux à la mosquée de Québec, manifestations décomplexées de groupes anti-islam, distribution de tracts associant le Centre culturel islamique de Québec (CCIQ) au terrorisme et, plus récemment, incendie criminel contre la voiture du président du CCIQ. En toile de fond, un discours qui continue lui aussi à tendre de plus en plus vers la haine.

Il suffit de jeter un coup d’œil aux réseaux sociaux liés à des groupes anti-islam et à leur message pour constater la violence des propos envers les musulmans, comme cette image tirée du compte Facebook d’un dirigeant d’un groupe anti-islam québécois (25 février 2017), ou d’autres de leurs interventions:

«Dans la Ville de Québec, le siège des Frères musulmans est nul autre que la Grande Mosquée de Québec […] cette même mosquée est un foyer de radicalisation où on propose aux fidèles de lire les écrits d’idéologues qui prônent le djihad violent, la charia, l’infériorisation de la femme, l’homophobie virulente […]», extrait d’une lettre distribuée à Sainte-Foy en juillet 2016.

«Une seule solution est possible pour renverser le phénomène avant qu’il ne soit trop tard. Il s’agit d’une inversion du flux migratoire, une remigration à grande échelle accompagnée d’une politique de natalité efficace» – Communiqué d’un groupe anti-islam québécois, 14 août 2017.

Quelle réponse judiciaire envisageable?

Bien que ce climat appelle d’abord à un remède politique, le pouvoir judiciaire semble lui aussi en mesure d’y jouer un rôle. En droit canadien, la notion de propagande haineuse est effectivement criminalisée depuis 1970; une mesure qui avait été prise suite à la montée de groupes suprématistes blancs et néonazis à l’époque. En vertu de cette disposition, un jeune homme a été accusé, en mars dernier, pour des propos liés à l’attentat de Québec. En 1990, des propos antisémites d’un enseignant qui décrivait les Juifs à ses élèves comme cherchant à détruire la chrétienté avaient également été condamnés.

En droit canadien, la notion de propagande haineuse est effectivement criminalisée depuis 1970

De là à appliquer la disposition à des membres de groupes nationalistes pour leurs positions anti-islam, il y a tout de même un pas important à franchir, explique le professeur à la faculté de droit de l’Université de Montréal Pierre Trudel. «Dans l’espace public, on va souvent désigner comme [haineux] tous propos qui sont désobligeants envers un groupe, alors que la jurisprudence établit une marge entre celui qui est punissable et celui qui est disgracieux, ou même méprisant».

Pour que des accusations soient envisageables en respect de la liberté d’expression, il faut que le propos incite une personne raisonnable à haïr un groupe identifiable, telle qu’une minorité ethnique, et ce peu importe si son auteur en avait l’intention. Dans l’affaire Whatcott, la Cour suprême a ainsi qualifié d’haineux certains passages de tracts anti-homosexualité, notamment «les homosexuels veulent maintenant répandre leurs obscénités et leur propagande auprès des enfants de la Saskatchewan» et «nos enfants vont en payer le tribut à la maladie, la mort, l’agression».

Ces balises, qui ont été établies pour une loi saskatchewanaise similaire au défunt projet de loi 59 de Québec, s’appliqueraient également en matière criminelle, selon le Professeur Trudel.

Une application confuse

Difficile de ne pas voir un parallèle entre ce message anti-homosexualité et certaines publications anti-islam qui circulent sur les plateformes web de groupes nationalistes québécois. «Monsieur Whatcott disait que les homosexuels devraient être dépouillés de leurs droits; entre ça et être déporté, c’est sensiblement la même portée» indique ainsi Pierre Trudel. Entre les propos condamnés par la Cour et associer l’islam au terrorisme ou prétendre qu’appliquer le Coran nuit à la santé mentale, on semble effectivement naviguer dans les mêmes eaux. Alors, pourquoi n’observe-t-on pas des mesures dissuasives sérieuses contre les propos islamophobes, dont plusieurs semblent au moins à la limite de la propagande haineuse?

Alors, pourquoi n’observe-t-on pas des mesures dissuasives sérieuses contre les propos islamophobes, dont plusieurs semblent au moins à la limite de la propagande haineuse?

Questionné quant à l’existence de ce type de messages et la possibilité qu’ils soient condamnables criminellement, un porte-parole de la Sûreté du Québec s’est contenté d’indiquer que le service de police est bien au fait de la montée de certains groupes et que la situation est suivie de près. Il a toutefois refusé d’indiquer s’il y avait une augmentation des enquêtes ou des accusations liées à la propagande haineuse dans les derniers mois.

Cette semaine, Montreal Gazette révélait que l’envoi d’une tête de porc à la Mosqué de Québec en juin 2016 avait préalablement été discuté sur le groupe Facebook secret de La Meute, mais que le SPVQ refusait de dire s’ils en avaient eu connaissance.

Montreal Gazette révélait que l’envoi d’une tête de porc à la Mosqué de Québec en juin 2016 avait préalablement été discuté sur le groupe Facebook secret de La Meute, mais que le SPVQ refusait de dire s’ils en avaient eu connaissance.

À cet égard, Me Trudel souligne qu’il faut «s’assurer de faire respecter les lois sur la propagande haineuse et ne pas hésiter à juger les gens qui se rendent coupables au sens du code criminel […] pour bien marquer une limite aux propos tolérables». Le problème, explique-t-il, c’est que le manque d’application claire crée une certaine confusion sur la définition juridique de la haine. «On banalise le discours haineux et on s’éloigne d’une tolérance zéro».

La justification offerte par le jeune homme de 20 ans accusé de propagande haineuse dans la foulée de l’attentat de Québec semble d’ailleurs révélatrice de cette confusion. «Ceux qui me connaissent savent que j’ai exagéré dans mes propos pour choquer et offenser. C’était du troll et c’était voulu», avait-il écrit avant son arrestation. Quelques jours plus tard, un porte-parole de la SQ avait cru bon rappeler sur Twitter l’existence de l’infraction.

Or, l’apparent manque de rigueur des forces policières en matière de propos haineux n’est pas forcément négatif. «L’un des effets pervers [de ces poursuites], c’est que ça transforme les groupes en victimes, qui dénoncent que la police les vise » rappelle ainsi le Professeur Trudel. Qu’un risque politique soit perçu par les autorités quant à une éventuelle application rigoureuse des lois en matière de propos haineux, cela se comprend. Mais que l’évaluation de ce risque soit laissée aux forces policières plutôt qu’au Parlement dans un contexte aussi politisé que celui de la montée de groupes nationalistes, cela semble entretenir une certaine confusion quant au crime de propagande haineuse.