En 1990, lorsque ce dernier propose son projet de station de ski ouverte à l’année sur le Qat’muk dans la vallée Jumbo, les Ktunaxa soulèvent immédiatement de sérieuses préoccupations. C’est qu’ils occupent ce territoire depuis plusieurs siècles et ont associé son importante population d’ours grizzly à leur spiritualité. Or, la construction du complexe Jumbo Glacier Resort chasserait vraisemblablement de la vallée cette population d’ours ainsi que la spiritualité qui y est associée : l’Esprit de l’Ours Grizzly.
Expliquant qu’une telle profanation de leurs terres aurait pour effet de vider leurs croyances de leur sens, les Ktunaxa contestent donc l’approbation du projet par le gouvernement britanno-colombien en 2012, soutenant que cela viole leur liberté de religion. Un aîné déclare alors que la protection du Qat’muk est une question «de vie ou de mort» et que «Jumbo [est] l’un [de leur] principaux lieux spirituels».
La nation autochtone est néanmoins déboutée en première instance et en appel avant de se présenter devant le plus haut tribunal du pays, suscitant la dénonciation de plusieurs organismes. «Toute personne raisonnable reconnaitrait que la proposition de détruire les sites les plus sacrés d’autres religions, tels que l’Église de la Nativité à Bethléem ou le mont du Temple, aurait un impact profond sur les personnes y adhérant», déclare ainsi le directeur général de la British Columbia Civil Liberties Association (BCCLA) Josh Paterson, en novembre 2016, quelques jours avant l’audience à la Cour suprême.
Une liberté de religion limitée
Mais la juge en chef Beverly McLachlin, écrivant au nom d’une majorité de sept juges, ne l’entend pas ainsi. Malgré que le projet désacraliserait les terres des Ktunaxa, la Cour refuse de reconnaitre que cela aurait un impact significatif sur les croyances du peuple autochtone. «Les [Ktunaxa] ne réclament pas la protection de la liberté de croire en l’Esprit de l’Ours Grizzly ou de s’adonner à des pratiques connexes. Ils sollicitent plutôt la protection de l’Esprit de l’Ours Grizzly lui-même et du sens spirituel subjectif qu’ils en dégagent», écrit ainsi la Juge en chef.
Un raisonnement que rejettent toutefois les juges Michael Moldaver et Suzanne Côté en dissidence, considérant que le projet viole la liberté de religion des Ktunaxa puisqu’il affecte significativement leurs rites. «Un lien inextricable unit la spiritualité et la terre dans les traditions religieuses autochtones. Dans ces conditions, une mesure étatique qui touche la terre peut rompre le lien spirituel avec l’être divin et priver ainsi les croyances et pratiques autochtones de leur signification spirituelle», expliquent-ils. Les deux juges considèrent néanmoins que cette violation est légitime, en cela qu’elle sert l’intérêt public.
Pour Perry Bellegarde, chef de l’Assemblée des Premières nations du Canada, le jugement de la majorité révèle un manque de compréhension du point de vue autochtone ainsi qu’une nécessité d’éduquer le système judiciaire à ce propos. «Pour les Ktunaxa, détruire cette terre sacrée, c’est détruire des membres de la famille», souligne-t-il.
Des pentes de ski encore loin
Bien que la décision représente une victoire majeure pour Glacier Resort Ltd., cela ne signifie pas pour autant que le projet ira de l’avant. Délivré en 2012 par le gouvernement libéral de la Colombie-Britannique, le permis de construction du promoteur a expiré en 2015 et son renouvellement est maintenant entre les mains d’un gouvernement néo-démocrate qui s’était opposé au projet lors de son élection en mai dernier.
Le Conseil de nation Ktunaxa n’a d’ailleurs pas tardé à indiquer qu’il continuerait de militer pour la protection de ses terres. Se disant «profondément déçu», le Conseil considère que «l’importance et la valeur des nations autochtones est subordonné aux buts d’un État canadien qui semble satisfait de poursuivre sans eux.»
Une réplique judiciaire des Ktunaxa n’est d’ailleurs pas à écarter. Dans leur Déclaration Qat’muk en 2010, la nation avait réclamé sa souveraineté sur ces terres du fait de leur occupation préalable à l’arrivée des Européens. Une réclamation d’un titre territorial, qui n’a pas été faite dans ce cas, demeure donc possible. Cela octroie notamment une plus grande autonomie à la nation autochtone et peut obliger les gouvernements à obtenir le consentement de la nation pour des projets d’exploitation.
Au Canada, un titre autochtone n’a été reconnu qu’une seule fois, à la Nation Tsilhqot’in de la Colombie-Britannique, dans un jugement de la Cour suprême datant de 2014. Le conflit s’était alors étiré sur près de vingt ans et aurait coûté plus de 40 millions de dollars à la nation autochtone en raison de la lourdeur de la preuve nécessaire.