En juin dernier, Ricochet publiait un article à propos d’une importante transaction impliquant la firme General Dynamics Land Systems Canada et le gouvernement de l’Arabie saoudite pour la vente à ce dernier d’un nombre indéterminé de véhicules blindés, un contrat de 10 milliards de dollars canadiens sur 14 ans.

Le texte remettait en question la légalité de la vente en vertu des lois régissant les exportations de matériel militaire. Selon celles-ci, « le Canada contrôle rigoureusement les exportations de matériel et de technologies militaires vers les pays […] où les droits humains de leurs citoyens font l’objet de violations graves et répétées de la part du gouvernement, à moins qu’il puisse être démontré qu’il n’existe aucun risque raisonnable que les marchandises puissent être utilisées contre la population civile ». Il rappelait aussi que plus de 1000 véhicules blindés avaient été vendus au royaume wahhabite par le Canada, destinés à un corps d’élite qui fut déployé en renfort au Bahrein lors des révoltes du printemps arabe, semant ainsi le doute quant à l’utilisation de ces armes dans le cadre de violations des droits de la personne.

Pour le moment, seuls le Bélarus et la Corée du Nord figurent sur une liste des pays où les exportations de matériel militaire sont bannies.

Ricochet a appris que trois ans avant cette transaction, les exportations d’armes et de matériel militaire canadiens vers l’Arabie saoudite explosaient déjà

Or, Ricochet a appris que trois ans avant cette transaction, les exportations d’armes et de matériel militaire canadiens vers l’Arabie saoudite explosaient déjà, passant de 6 224 742$ à 64 975 753$ entre 2010 et 2011, selon le Rapport sur les exportations de marchandises militaires du Canada publié par le Ministère des Affaires étrangères et du commerce international (MAECI). Une augmentation qui s’inscrivait alors dans une tendance à la hausse qui se poursuit encore aujourd’hui avec un total de 623 542 198$ pour 2011 contre 408 513 736$ l’année précédente.

Outre les véhicules blindés, le Canada exporte principalement vers l’Arabie saoudite des armes légères (fusils d’assaut, mitrailleuses), des armes lourdes (canons, mitrailleuses de gros calibre), du matériel d’entrainement et de la technologie militaire, selon le rapport du MAECI.
Selon une étude de l’Université de Sherbrooke citée sur le blogue de l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), les exportations de matériel militaire canadien ont décuplé entre 1998 et 2011, accaparant 0,1% du total des biens vendus à l’étranger. Une proportion marginale, mais une tendance à surveiller.

Outre General Dynamics, Proparms qui fabrique du matériel destiné aux escouades anti-bombes et de défense contre les agents chimiques et biologiques transige activement avec l’Arabie Saoudite, de même que L-3 Communications Systems, spécialisée dans les systèmes électroniques et l’avionique. D’autres contracteurs de l’industrie de la défense et de l’armement, comme Rheinmetall Canada, cherchent activement à obtenir des contrats avec le régime saoudien, selon une liste d’entreprises obtenue via le site web d’Industrie Canada.

L’intérêt industriel avant l’éthique

Pourquoi le gouvernement autorise-t-il donc la vente d’armes et de technologies militaires à des régimes qui ont violemment écrasé toute dissidence à leur autorité et qui continuent de nier les droits fondamentaux de leurs citoyens? Pour le professeur Christian Leuprecht du Collège militaire royal de Kingston, la réponse est fort simple. « Même si des règles existent qui contrôlent ce type de commerce, le gouvernement cherchera toujours à favoriser l’économie et à aider les entreprises canadiennes à faire des affaires à l’étranger. Il se perçoit comme un facilitateur qui a donc un devoir à accomplir », explique-t-il. « Les entreprises spécialisées dans la production de matériel militaire oeuvrent dans un marché très ciblé et ils suivent donc la demande. La situation explosive dans les pays du Moyen-Orient, notamment l’Arabie saoudite, représente pour eux une occasion de brasser de grosses affaires », dit-il, insistant sur le fait qu’il cherche moins à défendre l’industrie et les actions du gouvernement qu’à présenter un point de vue plus pragmatique.

Le contexte de mondialisation est également à considérer. « De toute façon, rien n’empêcherait une entreprise qui se ferait bloquer ses transactions par le gouvernement de déménager dans un pays où elle n’aurait aucun bâton dans les roues », poursuit-il.

M. Leuprecht insiste également sur le fait que les contrats comprennent des clauses qui garantissent que ces armes et ce matériel ne seront pas utilisées dans le cadre de violations des droits de la personne, malgré qu’il demeure difficile voire impossible pour le Canada d’en contrôler directement l’usage.« Une façon de mettre de la pression sur ces pays pourrait être, par exemple, de refuser de fournir des pièces ou des services essentiels d’entretien », dit-il, sans toutefois aborder la question du marché noir.

« Une façon de mettre de la pression sur ces pays pourrait être, par exemple, de refuser de fournir des pièces ou des services essentiels d’entretien »

Pas un cas unique

L’Arabie saoudite ne demeure qu’un régime totalitaire parmi d’autres avec qui les marchands d’armes canadiens brassent des affaires d’or. Le Bahrein, l’Égypte, Israël, la Syrie et le Qatar forment un groupe hétérogène de pays où se commettent crimes de guerre, dénis de liberté et répression de la dissidence politique, ce qui n’empêchent pas l’exportation d’armes et la recherche de nouveau marchés. L’Iran, avec qui le Canada a rompu toute relation diplomatique en septembre 2012, demeure toujours un client existant ou potentiel pour plusieurs entreprises d’ici qui font fi tant de la situation politique que de la dureté du régime des mollahs.

Dans un prochain article, Ricochet se penchera en détail sur la situation et examinera en profondeur les activités particulières de certaines entreprises.