Que les statues ou plaques soient érigées par l’État ou par des organismes ou regroupements locaux, elles ne sont pas historiquement neutres. Elles servent de rappels civiques, elles approuvent des actions et des politiques. Le fait que de tels groupes aient non seulement les moyens financiers, mais aussi les recours politiques nécessaires pour ériger des statues (possession de terrains, accès au conseil municipal) leur permet de mettre de l’avant leur vision non seulement du passé, mais aussi du présent et de l’avenir. À l’inverse, d’autres groupes n’ont pas la chance de voir leur histoire et ses éléments marquants partagés publiquement.

De tels usages publics de la mémoire visent à attirer notre attention sur certains moments et personnages d’une histoire qui est déjà transmise et enseignée ailleurs, à la représenter et à la rendre présente. L’inscription des noms et des dates n’est pas plus un acte d’écriture de l’histoire que le fait de les faire disparaître n’est un effacement. Les actes de remplacer des statues et de renommer des lieux reflètent un changement d’attitudes à l’endroit de l’histoire, une transformation des récits.

Au-delà de l’attachement à la figure de John A. Macdonald, deux idées réductrices sous-tendent l’opposition actuelle aux propositions de renommer les édifices le commémorant et de remplacer les statues qui le célèbrent.

Il n’est donc pas vrai que Macdonald ne faisait que partager les valeurs de son temps. Il a fait des choix conscients que d’autres n’ont pas fait, auxquels ils se sont opposés.

L’histoire s’écrit toujours

La première est qu’il existe une histoire qu’il ne faudrait pas récrire. Or, l’histoire qui ne doit pas être réécrite est elle-même une écriture des événements visant à effacer les perspectives autochtones.

Le débat actuel autour du délogement de Macdonald répond d’ailleurs aux recommandations de la Commission vérité et réconciliation. Il s’agit de prendre acte d’une histoire que nous connaissons maintenant mieux. Si Murray Sinclair suggère plutôt de célébrer les figures historiques autochtones et Cindy Blackstock, d’ajouter des plaques commémorant la part d’injustice de la contribution des figures publiques à l’histoire, la même logique est à l’œuvre.

Nombre des politiques mises en place par Macdonald continuent d’être menées sous de nouveaux visages aujourd’hui et que célébrer sa mémoire, c’est aussi donner une validité et une valeur politique à ces politiques discriminatoires.

Un homme de notre temps

La seconde idée est qu’il ne faut pas juger d’une époque passée par les principes du présent et que Macdonald était simplement un homme de son temps. Défendre cette idée est effectuer le véritable effacement : celui de l’opposition aux politiques de Macdonald. Son racisme était connu et créait un malaise même à la Chambre des Communes. Le rapport de la Commission vérité et réconciliation – que tout.e chercheur.e se doit de lire – donne des exemples d’opposition à ces politiques de la part d’agents du gouvernement. Surtout, il montre ce qui est ici effacé, à savoir l’opposition organisée et continuelle des peuples autochtones au traitement qui leur était réservé.

Cette résistance active de la part des peuples autochtones a existé continuellement et partout : des enfants se sont sauvés des pensionnats et plusieurs en sont morts; des parents ont caché leurs enfants et ont été emprisonnés; des bandes comme celle de Mistahimaskwa (Gros Ours, ou Big Bear) ont refusé les traités, les réserves et les pensionnats; des communautés métisses et leurs alliés cris se sont mobilisés militairement lors de deux rébellions.

Il n’est donc pas vrai que Macdonald ne faisait que partager les valeurs de son temps. Il a fait des choix conscients que d’autres n’ont pas fait, auxquels ils se sont opposés.

Cet effacement des crimes commis contre les peuples autochtones et de leur manière de vivre l’histoire canadienne et de se concevoir va de pair avec l’effacement de leur capacité politique avec la Loi sur les Indiens, celui de leur titre au territoire par la réinterprétation des accords et traités, celui de leurs vies par les politiques génocidaires.

La résistance que rappelle bien la Commission vérité et réconciliation a toutefois été effacée de la version de l’histoire que portent les statues de Macdonald. Un effacement similaire a d’ailleurs lieu lorsque Louis Riel est présenté comme un Canadien français plutôt que comme un membre du peuple métis.
Cet effacement des crimes commis contre les peuples autochtones et de leur manière de vivre l’histoire canadienne et de se concevoir va de pair avec l’effacement de leur capacité politique avec la Loi sur les Indiens, celui de leur titre au territoire par la réinterprétation des accords et traités, celui de leurs vies par les politiques génocidaires. Les statues de Macdonald cachent ce passé et ce présent. C’est sans compter que nous pouvons tenir le génocide comme étant immoral peu importe l’époque et le contexte. C’est aussi sans compter que nombre des politiques mises en place par Macdonald continuent d’être menées sous de nouveaux visages aujourd’hui et que célébrer sa mémoire, c’est aussi donner une validité et une valeur politique à ces politiques discriminatoires.

Les citoyen.ne.s des nations autochtones continuent en effet de voir leurs manières d’être, de connaître et d’agir rendues impossibles par les institutions canadiennes. Elles et ils sont aussi davantage victimes de violence et d’incarcération. Leurs enfants vivent davantage dans la pauvreté, voient leur éducation moins bien financée que les autres enfants, et sont arrachés beaucoup plus souvent à leurs familles.

Nous pourrions ainsi retourner l’idée commune pour dire que Macdonald est donc un homme de notre temps, dont les opinions et valeurs continuent d’être partagées et dont les politiques sont continuées de nouvelles manières.

Les politiques de John A. Macdonald et des autres architectes des pensionnats autochtones et de la mise en place de la Loi sur les Indiens n’ont pas simplement nui aux peuples autochtones. Elles n’étaient pas des injustices comme on en retrouve partout. Elles étaient assimilatrices et génocidaires et personne ne devrait plus s’en réclamer.

Permettre des relations de respect et de confiance

Les politiques de John A. Macdonald, de Langevin et des autres architectes des pensionnats autochtones et de la mise en place de la Loi sur les Indiens n’ont pas simplement nui aux peuples autochtones. Elles n’étaient pas des injustices comme on en retrouve partout. Elles étaient assimilatrices et génocidaires et personne ne devrait plus s’en réclamer. Il faut par conséquent réaménager la place qu’occupent ces figures dans notre mémoire, tenir compte de leur immoralité dans notre enseignement de l’histoire et, surtout, faire passer l’horreur que nous devrions en avoir aujourd’hui dans de nouvelles relations.

La Ville de Victoria nous montre un chemin qui évite l’effacement symbolique comme physique. En déboulonnant et mettant de côté sa statue, le conseil municipal reconnaît le sens qu’elle revêt pour plusieurs. En lançant ensuite une discussion sur ce qui devrait être fait avec cette statue, discussion qui devra inclure les communautés autochtones qui résident en ville ou la fréquentent, elle évite un nouvel effacement et permet d’élargir les perspectives historiques et les valeurs contemporaines portées dans ses lieux publics. Leur démarche permet surtout de créer de nouvelles relations avec les communautés autochtones plutôt que de simplement transformer les mêmes symboles.

Jérôme Melançon

Professeur adjoint en études francophones et interculturelles, Université de Regina


Pour aller plus loin… Le dialogue autour du sens de la figure de Macdonald et de plusieurs politiciens de son temps a lieu depuis fort longtemps : l’histoire est déjà réécrite.
Allez lire le livre de mon collègue James Daschuk, La destruction des indiens des plaines ;
renseignez-vous sur la commémoration de la pendaison de Louis Riel à la statue de Macdonald à Regina ;
puis à Kingston et à Ottawa par mon autre collègue David Garneau ;
abonnez-vous au fil d’activistes et professeurs autochtones sur les médias sociaux – dont un très grand nombre mettent de l’avant les mêmes arguments que je présente ici.