Rien n’est moins sûr, mais force est de constater que les astres s’alignent pour une mobilisation sociale d’envergure. Manifestement, la stratégie libérale a été de frapper vite et fort, pour profiter de la faiblesse de l’opposition officielle et prendre de court le mouvement syndical. Les annonces se sont multipliées cet automne, si bien qu’il est aujourd’hui difficile de trouver un secteur de la société (mis à part les grandes entreprises) qui soit épargné par l’acharnement du gouvernement Couillard. C’est également une belle démonstration de ce qu’un de mes amis appelle la « stratégie du grand fiou ». Il s’agit d’une tactique éprouvée: annoncer une pléthore de mesures contrepercées… pour mieux reculer partiellement par la suite. L’indignation initiale se calme donc. « Fiou! » s’exclame-t-on dans les chaumières. « Ça aurait pu être bien pire! » pense-t-on, pendant que les dirigeant.e.s accomplissent grosso modo leur plan de match initial.

Vers une grève sociale?

Sauf qu’à ce petit jeu, Philippe Couillard pourrait bien se faire prendre. Ses attaques automnales ont été assez violentes et nombreuses pour que l’opposition citoyenne se coalise tranquillement. Signe d’une politisation certaine, sur certains véhicules d’incendie montréalais, on lit dorénavant «Refusons l’austérité», plutôt que les habituels slogans sur la réforme des régimes de retraite. Les organisations étudiantes, du moins l’ASSÉ, ont également annoncé leur intention de mener campagne sur cette question, et on prend bien soin de ne pas exclure le recours à la grève.

Tant et si bien qu’ils étaient nombreux, samedi, ceux qui évoquaient ouvertement une grève sociale. La plupart des chef.fe.s syndicaux ont pris la peine de préciser que le débat aurait lieu. Plus significatif encore, la rumeur court déjà dans plusieurs milieux de travail du secteur de la santé, et certaines assemblées syndicales en discutent déjà ouvertement.

Il faut admettre que la popularité du « Printemps 2015 » est surprenante.

Parallèlement, la nébuleuse « Printemps 2015 » prend de l’ampleur. Initié par les milieux étudiants de gauche montréalais, elle s’étend progressivement aux régions et en dehors des établissements d’enseignement. Ces comités de mobilisation inter-syndicaux font de plus en plus jaser et il était surprenant, samedi, de voir la quantité de manifestant.e.s arborant l’insigne officielle du mouvement. Le succès de l’initiative relève de sa capacité à s’institutionnaliser et à travailler de concert avec les organisations syndicales et étudiantes, mais d’ores et déjà, il faut admettre que sa popularité est surprenante.

Le mouvement syndical menacé par la division

Dans le mouvement syndical, le Front commun du secteur public a annoncé son intention de tenir bon. Les organisations syndicales auront-elles le courage de prendre à bras le corps la question de la fiscalité en la mettant au cœur de la mobilisation? Tous savent pourtant que le succès de la mobilisation contre l’austérité dépendra largement des possibilités de convergence avec le Front commun.

Pour ce faire, ce dernier devra éviter de tomber dans le piège que lui a tendu le gouvernement Couillard. On l’a peu mentionné dans les médias, mais l’un des impacts concrets du projet de loi 10 est de provoquer – encore! – une réorganisation complète du syndicalisme dans le secteur de la santé. Sans se perdre dans les formalités, disons simplement qu’en fusionnant les établissements de santé et de services sociaux, le ministre Barrette fusionne également les unités syndicales. Résultat: quelques mois à peine après la signature de leur prochaine convention collective, les travailleurs du secteur de la santé seront plongés dans une vague de maraudage généralisée. Déjà, l’affrontement à venir attise les rivalités au sein du Front commun, chacun voulant se placer en bonne position pour protéger son membership. La stratégie de la division n’est pas nouvelle, mais cette fois, certaines organisations ont beaucoup à perdre.

Amoché par les récentes affaires de corruption, le mouvement syndical saura-t-il se relever pour défendre le modèle de société avec lequel Philippe Couillard veut en finir?

Bref, beaucoup de questions restent en suspens. La porte est toute grande ouverte pour une mobilisation d’ampleur, mais beaucoup de pression s’accumule sur le mouvement syndical. Amoché par les récentes affaires de corruption, saura-t-il se relever pour défendre le modèle de société avec lequel Philippe Couillard veut en finir? La manifestation de samedi, quoi qu’on en dise, est rassurante à cet égard. Les autres mouvements sociaux -étudiants et féministes, notamment – devront quant à eux faire preuve de patience stratégique. Les libéraux, après tout, sont probablement au pouvoir pour quatre ans.

À moins que…