Trois jours avant Noël, le gouvernement du Nicaragua s’offrira en cadeau le début de la construction d’un canal trois fois plus long que celui du Panama. Un projet moins attrayant pour les villageois et villageoises qui seront affectés par les expropriations imminentes. La colère monte, tant chez les habitants que chez les scientifiques, indignés de ne pas avoir été consultés.
À moins d’un mois du début des travaux, les habitants et habitantes qui seront affectés et déplacés sont tenus dans l’ignorance. La grogne populaire s’amplifie et des manifestations ont lieu régulièrement depuis plus de deux mois dans les différentes municipalités qui seront touchées par le projet.
Margarita de Sacasa, propriétaire terrienne à Brito, où débuteront les travaux, s’offusque du manque de transparence. « Ils ne nous ont rien dit. La construction commence très bientôt et on n’a absolument aucune idée de ce qui va se passer. Je ne sais pas si mes terres seront confisquées et quelle sera la compensation offerte », déplore-t-elle. La population, ayant pris les armes 20 ans auparavant pour s’affranchir de 45 ans de dictature, se retrouve encore une fois laissée pour compte dans la prise de décisions gouvernementales concernant l’avenir du pays. Telémaco Talavera, porte-parole de la Commission sur le Grand Canal, assure que le gouvernement visitera « chaque maison et entreprise pour trouver la meilleure solution en tenant compte de la situation économique, la vision culturelle et les nécessités de chacun ». Pourtant, la date du début des négociations n’a pas encore été fixée.
Boca Brito, village d’une quinzaine de familles de pêcheurs, est l’une des dernières plages de la région pacifique épargnée par l’industrie touristique. La tranquillité qui y règne se perdra dès décembre, en raison du dynamitage de la rive permettant d’ouvrir la voie d’entrée du canal, bouleversant ainsi l’écosystème côtier. « On ne pourra plus pêcher ici. Je ne pourrai plus subvenir à mes besoins », affirme Pedro Luis, habitant de Brito. Une dure réalité partagée par 29 000 personnes à qui la pêche et l’agriculture permettent d’être autosuffisantes.
Malgré les espoirs d’opportunités d’emplois gravitant autour de la construction du canal, la majeure partie de la population nicaraguayenne n’a pas les qualifications nécessaires pour travailler sur un chantier d’une telle envergure.
En juin 2013, l’Assemblée nationale a approuvé la loi 840 sur la concession du canal, donnant à l’entreprise chinoise Hong Kong Nicaragua Canal Development (HKND) les droits du développement et de la gestion du canal et de ses projets connexes, pour une durée de 50 ans avec la possibilité d’un renouvellement de 50 ans.
En réaction, 32 recours d’inconstitutionnalité ont été déposés à la Cour Suprême, qui les a tous rejetés en bloc. Selon la loi, les propriétaires détenant les preuves d’achat des terres longeant la route du canal recevront une compensation d’une valeur largement inférieure à celle du marché. « Cette loi 840 est asymétrique. Tout va à l’entreprise et rien au Nicaragua », dénonce Maria Luisa, avocate au Centre d’assistance légale pour les Peuples indigènes. Les terres communales autochtones risquent d’être saisies sans contrepartie financière à cause de l’absence de statut de propriété privée, jouant ainsi sur un vide juridique.

« Machete caído, indio muerto »; la hantise des expropriations
Douze municipalités se trouvent dans la région directe d’influence du projet. La liste exacte des personnes affectées n’a pas encore été dévoilée et les habitants et habitantes vivent depuis trois mois dans l’insécurité de perdre terre, maison et emploi. « Quand vous allez nous voir avec de l’eau jusqu’au cou, nous allons tirer. Nous allons nous préparer avec des machettes, des couteaux et des pelles parce que ce régime se convertit en dictature », affirme José, qui préfère taire son patronyme.
Le mégaprojet modifiera considérablement l’écosystème du pays en passant à travers des réserves naturelles et des aires protégées de mangroves. Selon le Centre Humboldt, le canal affectera 22 espèces menacées d’extinction en limitant leur libre circulation sur le territoire. L’or bleu du pays, le lac Cocibolca, plus grande source d’eau douce en Amérique centrale, devra être approfondi de 17 mètres et sera affecté par la salinisation et les éventuelles fuites de pétrole. La construction et les expropriations débuteront quatre mois avant la publication de l’étude d’impact social et environnemental, une conjoncture qui alarme les scientifiques nicaraguayens.
La Russie, le Venezuela, le Brésil, la Corée du Sud et le Japon ont exprimé leur intérêt à prendre part à la construction du mégaprojet. Du même coup, la puissance soviétique compte ouvrir une base militaire au pays et négocier un nouveau contrat de vente d’armes et d’équipements avec les forces navales nicaraguayennes. Pour l’instant, aucun intérêt n’a été exprimé par les États-Unis et le Canada, qui attendent que le projet du canal se mette en branle avant de se prononcer.
INFORMATIONS GÉNÉRALES SUR LE CANAL INTEROCÉANIQUE
Longueur : 278 km
Largeur: entre 230 m et 520 m
Profondeur : entre 25 m et 30 m
Zone d’influence : estimée à 20 km de large
Capacité de transport : passage annuel de 5 100 cargos Post Panamax, bateaux vraquiers de 400 mille tonnes et pétroliers de 320 mille tonnes
Entreprise concessionnaire : Hong Kong Nicaragua Canal Development (HKND)
Entrepreneur: Wang Jing
Durée de la concession : 50 ans renouvelables
Début de la construction : 22 décembre 2014
Fin de la construction : prévue en 2019
Sous-projets : Deux ports en eaux profondes; un aéroport international; une zone de libre commerce; 4 complexes touristiques; plusieurs routes; un lac artificiel d’une superficie d’environ 395 km¬²; une centrale électrique; des usines de ciment et d’acier
Investissement prévu : 50,000 millions de dollars
Création d’emplois : 50,000 durant la construction