Dans son discours d’ouverture de la session parlementaire, François Legault s’est fait un honneur de placer l’éducation au sommet de ses priorités. Et l’on se rappelle bien sa profession de foi envers la maternelle 4 ans durant la campagne électorale. Or, en observant l’action de son gouvernement depuis l’élection du 1er octobre, on peut avoir des raisons de douter que les bottines suivent les babines.
Alors que les premières semaines d’un nouveau gouvernement sont un indicateur intéressant de l’ordre des priorités des décideurs, à quoi Legault et ses troupes ont-ils consacré le plus d’énergie? À la relance du débat sur le port de signes religieux par des employé.e.s de l’État, à la promotion irrationnelle du 3e lien Québec-Lévis et à l’interdiction (inefficace et moralisatrice) de la consommation de cannabis pour les moins de 21 ans. Devrait-on en déduire que les hochets populistes sont plus importants que l’éducation? Laissons-leur le bénéfice du doute pour les besoins de l’exercice.
Nous pourrions également revenir sur la mise à jour économique du début décembre, dans la foulée de laquelle on apprenait que le surplus budgétaire de l’État québécois s’élève maintenant à 4 milliards de dollars pour l’exercice en cours. Doit-on rappeler qu’une part importante de ces surplus est due aux coupures draconiennes du précédent gouvernement libéral en éducation?
Ce serait donc la moindre des choses que cet argent retourne là où il a été puisé et soit mis à contribution pour le futur : qu’il serve à l’école plutôt qu’aux baisses d’impôt. Les enfants dans le besoin n’ont pas le luxe d’attendre : chaque mois de retard dans la prestation de service d’aide à l’apprentissage a des conséquences importantes. Alors que François Legault plaide que la maternelle 4 ans aidera à identifier les troubles d’apprentissage de manière précoce, il ne semble pas trop inquiété par les cas déjà identifiés. Pourquoi? De plus, ses promesses d’uniformisation de la taxe scolaire et de transformation des commissions scolaires en centres de services ne donnent aucun aperçu en termes de services aux élèves. Les structures et les portefeuilles semblent primer les besoins réels. Pourquoi?
Du côté de l’éducation postsecondaire, il serait bien que le nouveau premier ministre ait autant d’ambition, fasse preuve d’autant d’audace que pour le 3e lien. Avec les 6 à 10 milliards de dollars que coûterait ce projet nous pourrions avoir des cégeps rutilants qui ne laissent personne derrière et des universités de classe mondiale aux quatre coins du Québec. Plutôt que de fermer des programmes universitaires, on ne cesserait d’en créer de nouveaux et de financer de nouvelles chaires de recherche. Donc, si la fluidité de circulation de quelque 6000 automobilistes mérite un investissement aussi somptuaire, la (soi-disant) priorité par excellence de François Legault en mériterait au moins autant.
Quelques questions
Tentons de garder un esprit ouvert et optimiste. Après tout, l’arrivée au pouvoir d’un parti qui n’a jamais gouverné peut être chaotique et voir des priorités négligées par simple complication logistique. Admettons. Alors, nous pourrions interroger François Legault au sujet de différents engagements concrets qu’il pourrait prendre ces prochaines années afin de donner corps à sa profession de foi envers l’éducation.
Est-il prêt à améliorer substantiellement le salaire et les conditions de travail des professeur.e.s pour assurer leur rétention dans le métier?
Car nous savons que le quart des enseignant.e.s quittent la profession dans les 5 premières années de leur carrière et que les cas de congés de maladie pour épuisement professionnel se multiplient, créant des situations de pénurie de personnel.
Est-il prêt à promettre l’embauche d’un nombre suffisant de professionnel.le.s pour palier à tous les besoins actuels en termes de difficulté d’apprentissage?
Car nous savons que les coupures libérales ont notamment eu pour effet de perdre des centaines d’orthopédagogues, orthophonistes et autres «ressources spécialisées» pour venir en aide aux élèves qui connaissent des difficultés d’apprentissage. Les besoins sont criants, on ne peut se permettre quelque négligence que ce soit sans mettre en jeu l’avenir de ces enfants.
Est-il prêt à lancer un chantier de rénovation des écoles primaires et secondaires partout au Québec pour en finir une fois pour toutes avec les problèmes de qualité de l’air et de moisissure?
Est-il prêt à combler le déficit d’entretien du parc immobilier des universités québécoises, dont les bâtiments sont considérés en mauvais état dans une proportion de 40%?
Car nous savons que le délabrement de nombreux édifices est à l’origine de problèmes de santé chez les élèves, étudiant.e.s et employé.e.s. Également, des bâtiments en mauvais état devront tôt ou tard être rénovés (à plus grands coûts) ou bien tout simplement remplacés par des bâtiments neufs (encore plus coûteux).
Est-il prêt à investir massivement dans de nouvelles infrastructures et du matériel d’apprentissage (des livres aux laboratoires informatiques) pour rendre l’école plus agréable?
Car nous savons que les écoles secondaires accueilleront environ 60 000 élèves supplémentaires au cours des prochaines années, ce qui nécessitera la construction de nouvelles écoles ou l’agrandissement de plusieurs d’entre elles. Aussi, l’expérience scolaire ne se résume pas à être enfermé entre 4 murs : il faut faire de nos écoles des lieux où l’on veut passer du temps plutôt que fuir dès que l’on peut ; il faut développer un lien fort entre l’individu et son milieu d’apprentissage afin de favoriser la réussite.
Même en faisant preuve de toute la bonne foi du monde, nous avons des raisons de douter de la sincérité de l’engagement du gouvernement caquiste en faveur de l’éducation – surtout lorsque l’on s’intéresse aux actions concrètes qui ont déjà été posées. Il serait décevant qu’en trahissant ses engagements, François Legault continue d’alimenter le cynisme qu’il prétendait encore hier vouloir combattre. Mais les conséquences seraient d’autant plus graves pour les élèves et étudiant.e.s eux-mêmes. Il en va de «l’avenir de la nation québécoise», pour citer le premier ministre.