Partage d’informations sur les réseaux sociaux, organisations d’assemblées populaires, prises de position dans les médias, pétition, mise en demeure… En Abitibi et au Saguenay, l’appel est à la mobilisation. «Pas de consentement, pas de pipeline». « Non au gazoduc », lisait-on sur les affiches de manifestant-es qui s’étaient rassemblé-es à Rouyn-Noranda le 27 avril dernier dans le cadre de la Semaine de la Terre.

« On questionne nos élus, on cherche de la documentation, on sensibilise la population, on a des rencontres citoyennes pratiquement à toutes les semaines »

Le citoyen d’Amos et co-fondateur du Comité de citoyens pour la protection de l’Esker, Rodrigue Turgeon, était aussi sur place. Déjà sur la sellette pour son opposition au projet d’une mine à ciel ouvert de lithium à proximité de l’Esker Saint-Mathieu-Berry (là où s’approvisionne Eska, notamment), voilà qu’il s’est aussi mobilisé contre le projet du transport de gaz naturel de l’entreprise Gazoduq, dont le tracé frôle ce même esker. «On se doutait que ce projet-là allait avoir de l’impact sur les eaux souterraines. Il y a plusieurs eskers qui vont être traversés par ce projet-là dans notre région», s’inquiète-t-il.

Rodrigue Turgeon s’est donc associé avec d’autres citoyens et organismes, dont l’Action boréale, pour sensibiliser la population de sa région sur les potentiels dangers du projet.

« Ce qui ressort, c’est que ce projet-là n’a pas de bon sens. Ça va avoir des effets perpétuels sur notre région, sur son environnement, sur la faune et sur les milieux humides notamment. »

Depuis février, via la page Facebook «Gazoduq : parlons-en!», des rencontres citoyennes ont été organisées à Rouyn-Noranda, Val-d’Or et Amos. Près de 150 personnes y ont assisté. Une autre assemblée a lieu à La Sarre pas plus tard que ce jeudi. «Ce qui ressort, c’est que ce projet-là n’a pas de bon sens. Ça va avoir des effets perpétuels sur notre région, sur son environnement, sur la faune et sur les milieux humides notamment», énumère-t-il.

Au Saguenay, la Coalition Fjord emprunte le même genre de formule. « On questionne nos élus, on cherche de la documentation, on sensibilise la population, on a des rencontres citoyennes pratiquement à toutes les semaines », souligne à son tour Adrien Guibert-Barthez, co-porte-parole de la Coalition Fjord. Ce samedi, le 15 juin, la mobilisation se transporte même vers Tadoussac, où se tiendra une «Manif Terre et Mer», où se réuniront marcheurs et kayakistes. Pour eux, ce qui est le plus inquiétant, c’est l’augmentation du transport maritime sur le Fjord, notamment pour la survie du béluga. «Pour ce projet-là, c’est environ de 160 à 200 navires par année», estime Adrien Guibert-Barthez, en soulignant que deux autres projets industriels (Arianne Phosphate et Métaux BlackRock) pourraient aussi voir le jour et augmenter la circulation navale sur le Fjord.

Lutte à plusieurs

La mobilisation ne s’opère pas en vases clos. Certaines actions sont menées de concert entre les deux régions et des groupes environnementaux nationaux. «On ne peut pas mener ce genre de combat chacun de notre côté, juste en faisant valoir chacun de nos enjeux, croit le président de l’Action boréale environnementaliste de longue date, Henri Jacob. Ensemble, même en sacrifiant quelques points, c’est plus facile de rejoindre la population et d’avoir un impact».

Avec l’appui d’autres organisations, la Coalition Fjord et l’Action boréale a lancé, en avril dernier, une pétition contre le projet. Aujourd’hui, près de 31 000 personnes l’ont signée. Une mise en demeure a aussi été envoyée à l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACÉE) le 7 mai dernier.

Dix organisations environnementales, dont Greenpeace, Équiterre, la Coalition Fjord et l’Action boréale ont joint leurs voix au Centre québécois du droit de l’environnement pour exiger que le transport maritime, associé au projet Énergie Saguenay soit pleinement considéré dans l’évaluation environnementale du projet. En s’appuyant sur une décision de 2018 de la Cour d’appel fédérale du Canada dans le dossier Trans Mountain, les signataires refusent que le projet soit évalué en trois parties, soit le gazoduc d’une part, l’usine de liquéfaction de l’autre, et dans un troisième temps, le terminal.

Consultations houleuses

Pourquoi une telle mobilisation alors que le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) s’attardera au dossier et que Gazoduq et GNL Québec organisent, elles-mêmes leurs propres consultations publiques et privées?

« Nous voulions une plateforme d’information pour une lecture indépendante sur les impacts de ce projet-là », indique Rodrigue Turgeon. Bien que le mode de consultation de Gazoduq ait créé de la méfiance auprès de certains membres du public, l’entreprise n’était pas importunée par les rassemblements citoyens en parallèle de son processus.

« Notre projet gagne à être mieux connu et on le sait », a admis Marie-Christine Demers, la directrice des affaires publiques. « Que les gens s’intéressent à notre projet et veulent en discuter, toutes les formules sont bonnes. On serait même ouverts à participer à leurs rencontres. On a mis en place différentes formes de consultation et elles vont continuer d’évoluer. On souhaite que les gens continuent de s’informer et qu’ils communiquent avec nous », répondait-elle en entrevue à Ricochet à la mi-mai.

Quelques semaines plus tard par contre, un mea culpa s’est imposé, alors que l’entreprise a voulu consulter en groupe des propriétaires résidentiels de D’Alembert, en Abitibi, touchés par le tracé. Préoccupés de ne pas avoir été invités, des voisins se sont aussi pointés au rendez-vous, au grand désarroi de Gazoduq… si bien qu’après cet événement, la compagnie a annulé deux rencontres prévues avec des propriétaires touchés par son tracé à Saguenay et à Chambord. Elle a admis publiquement avoir manqué de transparence sur sa procédure de consultation.