Apparitions surprises dans les marchés de Noël, incursion subtile dans un défilé du père Noël… tels les petits lutins taquins, des revendications environnementales se sont furtivement glissées dans plusieurs rassemblements des fêtes au cours des dernières semaines en Abitibi. Les militants festifs atteignent-ils vraiment leur cible ou ne font que gâcher la magie des fêtes?
Sur les airs des célèbres cantiques «Petit papa Noël», «Les anges dans nos campagnes», et «Vive le vent», une «Chorale du peuple» version abitibienne a fait la tournée de quatre marchés de Noël de sa région et chanté les originaux cantiques «Petit pipeline de gaz…», «Le pipeline dans nos campagnes» et «Vive le gaz!». La vingtaine de militants de Gazoduq, parlons-en souhaitait sensibiliser la population abitibienne sur le possible passage du gazoduc qui alimenterait l’usine de liquéfaction de gaz naturel d’Énergie Saguenay.
«Le pipeline qu’ils veulent passer ne devrait pas voir le jour étant donné tous ses impacts négatifs sur l’économie, la santé et l’environnement», affirme Nicholas Ouellet, l’un des citoyens engagés dans la chorale. «La stratégie, c’est de trouver une manière ludique qui va attirer les sourires des gens tout en parlant d’un enjeu qui est très préoccupant. On veut sensibiliser et informer les gens et qu’ils en gardent un bon souvenir», indique-t-il.
Le 7 décembre dernier, le militantisme s’est aussi subtilement glissé dans le défilé du Père-Noël à Val-d’Or, où une dizaine de militants se sont costumés en caribous. Le déguisement original et rigolo rappelait les rennes du personnage mythique des enfants, mais avait pour but de revendiquer que des actions soient prises pour protéger la harde de caribous forestiers de Val-d’Or composée aujourd’hui d’à peine une quinzaine d’individus.

Ils ont eux aussi transformé le traditionnel air de «Vive le vent» pour le «Sauvons les… sauvons-les… caribous d’Val-d’Or…» et brandi une bannière avec le même message. «C’est en soulignant l’aspect exceptionnel, la grande valeur, l’aspect précieux, la beauté [de l’espèce] aussi qu’on peut éveiller les gens. Dans cette optique-là, pour moi, ce n’est même pas une stratégie. C’est normal d’être dans un défilé comme celui-là! En tant que collectivité, ça devrait aussi être normal de mettre les caribous de l’avant comme trésor», exprime la militante.
Les réactions
Malgré le côté festif qu’ont pris les manifestations, elles n’ont pas toujours été bien accueillies. Les citoyens engagés dans la chorale de Gazoduq, parlons-en distribuaient les paroles de leurs trois chansons au public, à l’endos desquelles il pouvait retrouver une liste d’articles de référence sur le dossier. «Il y a des endroits où c’était plus mitigé comme accueil, mais à d’autres endroits, comme à Senneterre, comme on distribuait les paroles, les gens tapaient des mains et chantaient avec nous», raconte Nicholas Ouellet.
De ce qu’elle a pu voir, Katia Martel a l’impression que sa présence au défilé a été bien reçue. «Quand on paradait, on agitait nos grelots et on se donnait des airs de rennes. Les enfants étaient contents. On les entendait dans la foule dire «ce sont les rennes!». Les parents répondaient «non, ce sont des caribous». Ça amenait tout un volet d’éducation», interprète-t-elle.

Contactée pour commenter la présence des «Caribous du père Noël» dans le défilé, la présidente de Corporation Rues principales Val-d’Or, Josette Pelletier, n’avait pas le même discours. «Je trouve que ce n’était pas vraiment le bon endroit», a répondu l’organisatrice qui estime que près de 4000 personnes ont assisté à l’événement. Josette Pelletier admet que les costumes de caribous étaient ludiques et que le groupe n’a occasionné aucun problème au déroulement du défilé, mais elle se désole que la petite harde de caribous ait, médiatiquement, pris plus de places que les 40 chars allégoriques et les presque 500 bénévoles et participants du défilé.
Ça marche ou pas?
La professeure de Sciences politiques à l’Université de Montréal, Pascale Dufour, dirige le collectif de recherche Actions politiques et démocratie (CAPED). Selon elle, il est tout à fait normal que les actions directes de militants – comme la chorale et les caribous – dérangent les organisateurs des événements où elles ont lieu. « Une action directe c’est fait pour déranger. C’est fait pour faire irruption, ça ne peut pas être autrement», explique-t-elle.
La chercheuse spécialisée des mouvements sociaux et des dynamiques d’engagement militant confirme cependant que ces actions surprises en pleins rassemblements des fêtes sont stratégiquement «très efficaces» pour les groupes militants. «Ils font irruption dans un lieu où il y a un public captif, il y a moyen de se faire entendre à moindres coûts et c’est fait de manière humoristique. Ce sont des actions super efficaces pour se faire entendre. Imaginez d’atteindre autant de gens en faisant venir les gens vers soi… ça serait beaucoup plus complexe», illustre-t-elle.
Par contre, impossible de chiffrer scientifiquement l’efficacité de persuasion de ce type d’action. La seule chose que la science confirme, a expliqué Pascale Dufour, c’est que pour qu’une âme militante voie le jour, elle doit être éveillée par un élément déclencheur ou être confrontée à une cause. Alors, qui sait, le père Noël recevra peut-être des lettres bien originales cette année…