Vendredi, au télé-journal de Radio-Canada, l’animateur Patrice Roy a invité le Dr Weiss à répondre à des questions de ses auditeurs. Il lui a posé cette question : «À partir du moment où une personne est infectée […], quand devient-elle contagieuse? Est-ce possible de l’être sans avoir des symptômes? Peut-on être contagieux sans avoir des symptômes?»

Le Dr Weiss a répondu ceci : «Alors, on est contagieux quand on est symptomatique, quand on a des symptômes. Maintenant, pour l’instant on considère que les gens qui sont asymptomatiques, qui n’ont aucun symptôme, ne sont pas contagieux. Alors il y a eu toutes sortes de choses qui ont circulé sur l’Internet, des papiers, et cetera, mais le message à passer, [c’est] : vous devenez contagieux à partir du moment où vous avez des symptômes.»

Pourtant, de nombreuses études réalisées par des médecins et des scientifiques crédibles soulignent que des porteurs asymptomatiques peuvent bel et bien transmettre le coronavirus. Certains articles ont déjà été approuvés par des pairs («peer-review») et d’autres sont en attente de publication, mais disponibles sur des plateformes gérées par des journaux médicaux bien cotés comme le British Medical Journal. Il ne s’agit pas de ragots glanés au hasard sur l’Internet.

Il y a consensus à l’effet que les porteurs asymptomatiques peuvent transmettre le virus, mais divergence quant aux proportions. (Afin de m’assurer ici de ne commettre aucune faute de traduction, je reproduis exceptionnellement les titres et les extraits en anglais. La plupart de ces articles sont rédigés par plusieurs auteurs, mais je ne les cite pas tous.)

Dans un article mis en ligne le 3 février, Hiroshi Nishiura, de l’Université Hokkaido, au Japon, écrit qu’une proportion substantielle des transmissions sont faites par des personnes asymptomatiques. «The median serial interval is shorter than the median incubation period, suggesting a substantial proportion of pre-symptomatic transmission», écrit-il avec ses collègues dans un article intitulé «Serial interval of novel coronavirus (COVID-19) infections».

«Transmission interval estimates suggest pre-symptomatic spread of COVID-19», tel est le titre d’un article rédigé par Lauren C. Tindale, de l’Université de Colombie-Britannique, Michelle Coombe, de l’Université Simon Fraser en Colombie-Britannique et d’autres experts du Canada, de Singapour et des Pays-Bas. Ces chercheurs ont étudié le temps d’incubation à Singapour et à Tianjin, la quatrième ville de Chine en nombre d’habitants, au début de l’épidémie. Voici leur conclusion : «We inferred that early in the outbreaks, infection was transmitted on average 2.55 and 2.89 days before symptom onset (Singapore, Tianjin).»

Lauren Ancel Meyers, de l’Université du Texas à Austin, et ses collègues, dont l’un de l’Institut Pasteur à Paris, ont analysé 468 cas confirmés de Covid-19 dans 93 villes chinoises avant le 8 février. Selon les rapports, 12,5% des cas indiquaient une transmission pré-symptomatique, écrivent-ils dans un article intitulé «The serial interval of COVID-19 from publicly reported confirmed cases» et daté du 19 février.

Cet article est sous presse dans le journal Emerging Infections Diseases. Il a fait l’objet d’un communiqué le 13 mars par EurekAlert! de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS) sous le titre : «Coronavirus spreads quickly and sometimes before people have symptoms, study finds» (Traduction libre : «Le coronavirus se répand rapidement et parfois avant que les gens aient des symptômes, montre une étude».)

«Jusqu’à maintenant, un peu d’incertitude régnait encore parmi les chercheurs quant à la transmission asymptomatique du coronavirus. Les nouvelles preuves peuvent fournir un guide aux responsables de la santé publique sur la façon d’endiguer la propagation de la maladie», indique le communiqué.

«Cela [l’étude] apporte la preuve que des mesures de contrôle étendues tels que le confinement, la quarantaine, les fermetures d’écoles, des restrictions sur les voyages et l’annulation des rassemblements de masse pourraient être nécessaires, a déclaré la co-auteur Lauren Ancel Meyers à EurekAlert! La transmission asymptomatique rend définitivement l’endiguement plus difficile.

«Nos conclusions sont corroborées par un nombre de cas grandissant de transmissions silencieuses dans des centaines de villes de par le monde. Cela nous dit que les éclosions de Covid-19 peuvent être insaisissables et qu’il faut des mesures extrêmes.»

Le New England Journal décrit le cas concret d’un Allemand qui a été contaminé par une personne asymptomatique. Le 24 janvier 2020, un homme d’affaires allemand âgé de 33 ans et en bonne santé est tombé malade, avec mal de gorge, frissons et myalgie (douleur musculaire). Le jour suivant, sa température est montée à 39,1 Celcius et sa toux s’est accentuée. Puis le soir d’après, il a commencé à se sentir mieux. Avant de ressentir ces symptômes, il avait participé à des réunions avec une partenaire d’affaires chinoises dans son entreprise, près de Munich, les 20 et 21 janvier. Cette partenaire, une résidente de Shanghai, était restée en Allemagne du 19 au 22. Pendant son séjour, elle n’avait eu aucun signe d’infection, mais elle est tombée malade après son retour en Chine et a été testée positive au coronavirus le 26 janvier.

En fait, les médecins et scientifiques chinois connaissent bien les risques de transmission asymptomatique. De retour de Chine, Maria Van Kerkhove, qui dirige l’unité des maladies émergentes et des zoonoses à l’Organisation mondiale de la Santé, a mis les autorités sanitaires en garde contre l’extrême danger que constitue la transmission asymptomatique du coronavirus. Mme Kherkove avait participé à une mission de l’OMS pendant deux semaines. «Si les gens peuvent en infecter d’autres avant qu’ils sachent qu’ils sont eux-mêmes malades, cela fait en sorte qu’il est beaucoup plus difficile de briser la chaîne de transmission», a-t-elle déclaré.

Les déclarations du Dr Karl Weiss à Radio-Canada sont d’autant plus étonnantes que les Centers for Disease Control (CDC) des États-Unis indiquent depuis le 4 mars sur leur site que la transmission asymptomatique existe. Les CDC affirment que les porteurs sont surtout contagieux quand ils ont beaucoup de symptômes. Mais le fait que la transmission asymptomatique existe rend d’autant plus importante la nécessité pour tous et chacun de rester autant que possible confiné chez soi.

Autrement dit, il ne suffit pas de ne pas participer à des grands rassemblements. Tous ceux et toutes celles qui le peuvent devraient cesser d’avoir des contacts sociaux pendant un certain temps et sortir seulement pour s’approvisionner dans les magasins d’alimentation et les pharmacies. Il est aussi possible de prendre des marches dehors, éventuellement avec un ami ou une amie, mais en se tenant à bonne distance de lui ou d’elle. Cet ami peut être infecté et vous transmettre le coronavirus sans s’en apercevoir, ou inversement. Le risque n’est peut-être pas très important – cela reste à déterminer – mais pourquoi le prendre si on peut l’éviter? C’est moche de s’isoler, mais il faut collectivement protéger notre système de santé et éviter une explosion du nombre de malades. C’est en s’isolant qu’on aide les médecins, les infirmières, les préposés des hôpitaux, les ambulanciers et aussi tous les travailleurs et travailleuses qui doivent assurer des services essentiels, notamment ceux et celles du secteur de l’alimentation.

Le dimanche 15 mars, la Dre Vera Etches, médecin en chef de Santé publique Ottawa, a déclaré que la Covid-19 ne se limite plus aux voyageurs revenus de l’étranger et qu’elle circule parmi la population. «Nous estimons qu’il pourrait y avoir de quelques centaines, jusqu’à peut-être 1000 cas de Covid-19 dans la communauté», a-t-elle dit. C’est un avertissement clair et précis, basé sur les plus récentes constatations épidémiologiques. Ce chiffre est appelé à croître. Chacun d’entre nous a la responsabilité de l’empêcher d’exploser.