Une privatisation souriante, mais une privatisation quand même

La fausse bonne idée de Philippe Couillard et Michael Sabia
Photo: en.wikipedia.org

«Moment historique», «annonce majeure», «changement de paradigme»: en conférence de presse mardi dernier, le premier ministre libéral jubilait. «Tous en ressortent gagnants!» a lancé le président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ). Les groupes écologistes et les défenseurs du transport collectif sont restés prudents, mais cachaient mal leur enthousiasme. Enfin de l'argent pour les transports en commun!

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À première vue, l'entente de la semaine dernière entre le gouvernement du Québec et la Caisse de dépôt et placement semble aller de soi. Pourquoi ne pas mobiliser l'épargne collective des Québécois et Québécoises pour financer les importants projets de transport collectif envisagés pour les prochaines années? De manière générale, il est en effet souhaitable que le «bas de laine» géré par la CDPQ serve à développer l'économie québécoise et à financer la transition écologique. Il est d'ailleurs problématique que ce ne soit pas davantage le cas. Mais doit-on être aussi enthousiastes lorsque ces investissements se font au détriment des services publics?

Force est de constater que le fiasco des partenariats publics-privés aura amené le gouvernement libéral à faire preuve d'imagination. Dépassements de coûts, retards chroniques, manque de transparence, corruption: le modèle devient de plus en plus gênant, mais il faut trouver une alternative cohérente avec la prémisse idéologique qui est devenue la marque de commerce du Parti libéral, c'est-à-dire l'idée selon laquelle la dette publique a atteint un niveau catastrophique. Autrement dit, maintenant que les PPP, ici comme ailleurs, ont montré leur inefficacité, comment financer les infrastructures en restant fidèle à l'idée néolibérale? Faire financer les projets d'infrastructures par la CDPQ apparaît comme la solution miraculeuse à ce problème.

Force est de constater que le fiasco des partenariats publics-privés aura amené le gouvernement libéral à faire preuve d'imagination.

Certains diront que le modèle proposé est «moins pire» qu'un PPP traditionnel. Ils n'ont pas nécessairement tort. Il est vrai que les profits générés par les projets envisagés serviront à financer les retraites des Québécois et Québécoises. Or, et c'est là que le bât blesse, cela signifie également que les prochains développements en transport collectif seront soumis à la logique de rentabilité propre au secteur privé: pas de profits potentiels immédiats, pas d'investissement. À l'heure où des efforts colossaux sont nécessaires pour modifier nos habitudes de transport et reconfigurer nos villes, est-il souhaitable de planifier à si courte vue?

Rien pour rendre le transport collectif plus abordable

Pendant ce temps, la tarification des transports en commun, surtout dans la région métropolitaine, augmente sans cesse. Comme le faisait récemment remarquer François Cardinal dans les pages de La Presse, les tarifs de la STM ont bondi de 17% en cinq ans, bien davantage que l'inflation, pour des services équivalents ou moindres. Sur ce plan, l'entente de la semaine dernière n'annonce rien de bon. «La Caisse de dépôt n'est pas un organisme de charité», rappelait pertinemment la critique péquiste Martine Ouellet la semaine dernière. En effet, puisqu'il faudra impérativement que ces éventuelles infrastructures de transport génèrent des profits pour la CDPQ et ses partenaires privés (sans aide publique!), tout porte à croire que ces PPP 2.0 participeront de l’augmentation généralisée des tarifs plus qu'ils ne la freineront. Et si les tarifs et péages ne parviennent pas à générer le rendement commercial souhaité, la Caisse n'hésitera pas longtemps à vendre les infrastructures en question. D'autres investisseurs en prendront possession et cette fois, la privatisation sera totale.

L'exemple d'Orléans Express

Quelques jours à peine après la conférence de presse de Philippe Couillard et Michael Sabia, les réductions de service annoncées cet automne par l'entreprise Orléans Express étaient mises en place. Pour des régions comme la Gaspésie et le Bas-Saint-Laurent, la disparition de certains trajets et de dizaines d'arrêts représente une très mauvaise nouvelle sur les plans économique et social. Les autorités régionales se sont époumonées, en vain, contre cette décision controversée.

Or, il s'avère que la Caisse de dépôt et placement est l'un des deux actionnaires de Keolis, la multinationale française qui possède Orléans Express. Il y a deux ans, lors de l'annonce par la Caisse du renforcement de sa participation à Keolis, le vice-président principal aux investissements dans les infrastructures de la CDPQ avait même précisé que l'institution participerait à toutes les décisions importantes de l'entreprise française. Manifestement, l'implication de la Caisse n'a pas empêché Keolis de prendre une décision d'affaires menaçant les économies régionales du Québec.

Or, il s'avère que la Caisse de dépôt et placement est l'un des deux actionnaires de Keolis, la multinationale française qui possède Orléans Express.

La morale de l'histoire? Lorsque vient le temps de prendre une décision d'investissement, la préoccupation principale de la Caisse est et restera le potentiel de rendement, et non le service aux usagers. Des visions qui sont parfois convergentes... et parfois divergentes. Dans le cas du transport en commun, les dernières années ont montré qu'il reste beaucoup de chemin à parcourir, notamment sur plan des habitudes de vie et des mentalités collectives, pour que ces projets soient rentables. D'où la nécessité d'une volonté politique de les financer et d'en encourager l'utilisation.

Soyons clairs: ce qui a été annoncé la semaine dernière, c'est que les grands projets de transport collectif seront dorénavant des projets privés, et non des services publics. Dans un contexte où la lutte aux changements climatiques nécessite une volonté politique forte, ce désengagement de l'État dans le domaine des transports collectifs est le contraire d'une bonne nouvelle.

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