«Nous, Atikamekw Nehirowisiw, maintenons notre souveraineté sur Nitaskinan, territoire ancestral légué par nos ancêtres depuis des temps immémoriaux.» Les premières lignes de la déclaration adressée par voie de presse au gouvernement de Philippe Couillard sont sans équivoque. La Nation Atikamekw, qui représente aujourd’hui près de 6700 personnes réparties sur trois réserves, Opitciwan, Wemotaci et Manawan, occupe un vaste territoire de 80 000 km2, le Nitaskinan, qui chevauche les régions de l’Abitibi, du Lac-Saint-Jean, de la Haute-Mauricie et de Lanaudière.

Réserve de Manawan
Sarah Laou

Revendiquant depuis plus de 30 ans le respect d’un titre ancestral sur un territoire qui n’a jamais été cédé à la Couronne, les Atikamekw se disent aujourd’hui plus déterminés que jamais à faire appliquer le principe de consentement préalable à l’exploitation de leurs ressources naturelles en favorisant la cogestion avec les entreprises canadiennes.

L’espoir suscité par la décision de la Cour suprême du Canada en faveur des Tsilhqot’in, en juin dernier, a renforcé cette volonté de faire respecter les droits territoriaux des Atikamekw sur Nitaskinan. Cependant, le gouvernement du Québec semble faire la sourde oreille.

Une crise politique qui s’envenime

«Avec cette déclaration de souveraineté, nous souhaitons reprendre possession et contrôle de notre territoire, mais aussi dire au monde que nous existons, que nous avons des droits et qu’il s’agit de les respecter. Nous avons laissé faire en pensant qu’au fil des années il y aurait un changement. Aujourd’hui, on ne veut plus d’enveloppe d’argent pour acheter notre silence. Nous souhaitons changer le rapport de force dans les négociations», affirme avec calme et fermeté Christian Awashish, Chef des Atikamekw d’Opitciwan.

«Avec cette déclaration de souveraineté, nous souhaitons reprendre possession et contrôle de notre territoire, mais aussi dire au monde que nous existons, que nous avons des droits et qu’il s’agit de les respecter.

Le Conseil de la Nation Atikamekw enfonce un peu plus le clou en précisant qu’«aucune exploitation forestière ne sera dorénavant tolérée sans l’accord de la communauté» et demande au Forest Stewardship Council (FSC), l’organisme international émettant des certifications éco et socio-responsables aux entreprises forestières, de ne pas renouveler les accréditations des compagnies forestières Kruger, Gestion forestière Saint-Maurice, Produits forestiers Résolu, Barrette-Chapais et Chantier Chibougamau installées sur leur territoire.

Loin de vouloir attiser les affrontements communautaires, les Atikamekw se disent prêts à jeter les bases de nouvelles relations plus équitables entre les peuples. Les négociations restent privilégiées, mais le Conseil des Atikamekw a déclaré qu’ils n’hésiteraient pas à réitérer les blocus des routes forestières, comme cela a été le cas en 2012, si leur voix n’était pas entendue.

Nitaskinan: un enjeu économique de taille

Si les gouvernements provinciaux ont l’obligation de consulter les Premières Nations avant d’autoriser toute activité pouvant porter atteinte à leurs droits, dans les faits, il n’en est rien; les coupes forestières continuent de défigurer le paysage sans l’accord ni la rétribution de ces populations autochtones.

Pour le Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ), la situation nécessite un recours à des instances juridiques, car ces questions autour de la gouvernance territoriale impliquent un grand nombre d’acteurs économiques. En 2013, on estime le volume de bois récolté sur ce territoire à 4 000 000 m3, soit 25% de la récolte totale de bois au Québec. Avec un chiffre d’affaires de plus de 16 milliards de dollars par année, ce qui représente plusieurs milliers d’emplois, l’enjeu économique est réel.

André Tremblay, président du Conseil de l’industrie forestière du Québec, témoigne en entrevue de sa volonté de trouver des solutions adaptées: «Nous essayons de comprendre les problématiques inhérentes aux revendications autochtones. Nous sommes prêts à faire des accommodements, mais nous ne sommes que le wagon, et non la locomotive», souligne-t-il en insistant sur le fait que l’issue relève avant tout d’un processus décisionnel gouvernemental.

Dans l’expectative de la décision du FSC, le président du CIFQ exprime cependant vouloir conserver de bonnes relations avec les peuples autochtones et rappelle que, par le passé, des aménagements similaires aux demandes Atikamekw ont été réalisés avec le peuple Cris lors des négociations de la baie James. Le Conseil National de développement économique des Autochtones réuni en comité d’experts à Gatineau devrait remettre son rapport en 2015.

L’exaspération grandissante du peuple Atikamekw

Les pourparlers interminables et les négociations jugées stériles avec le gouvernement du Québec, depuis 1979, poussent aujourd’hui la communauté Atikamekw à prendre des mesures concrètes et à réclamer un positionnement clair de la part du Québec sur les questions de territorialités autochtones.

Les pourparlers interminables et les négociations jugées stériles avec le gouvernement du Québec, depuis 1979, poussent aujourd’hui la communauté Atikamekw à prendre des mesures concrètes et à réclamer un positionnement clair de la part du Québec sur les questions de territorialités autochtones.

Ce peuple, qui a évité toute colonisation jusqu’en 1900, a pourtant subi de graves préjudices s’inscrivant dans le contexte historique colonial, tandis que les conditions de vie actuelles dans les réserves restent précaires. La construction du chemin de fer en Haute-Mauricie, à partir de 1908, provoquant un violent incendie et détruisant 25% de la forêt, la construction du réservoir Gouin entraînant l‘inondation des terres, puis la déforestation au profit des grandes compagnies forestières, sont autant de ravages infligés à leur territoire depuis plus d’un siècle.

Sarah Laou

La création des réserves avec sa Loi sur les Indiens et la politique d’assimilation des pensionnats avec son lot de violences ont également fini de semer les graines des nombreux troubles sociaux, économiques et culturels actuels.

Vers le vivre ensemble

Si à ce jour la déclaration de souveraineté Atikamekw n’a pas de valeur en droit juridique, elle bénéficie cependant d’une légitimité reconnue au regard de la Proclamation royale de 1763. Cette dernière reconnaît l’autonomie politique des Autochtones et le droit à la possession des territoires «non cédés».

Les revendications, qui n’ont toujours pas abouti à la signature d’un traité en bonne et due forme permettant de structurer les échanges de façon durable, seraient en bonne voie d’être approuvées, selon Sophie Thériault, professeure agrégée à la Faculté de Droit de l’Université d’Ottawa et spécialiste des problématiques territoriales autochtones, qui indique: «Ce n’est qu’une question de temps. La prégnance de ce discours trouve sa légitimité dans les droits internationaux. Le projet politique autochtone a un bel avenir.»

Les deux parties auraient ainsi tout intérêt à trouver un terrain d’entente. Les industries forestières et le gouvernement pourraient bien se retrouver face à l’interdiction d’exercer toute activité sur le territoire jusqu’à la résolution du conflit, et perdre ainsi des sommes considérables. Du côté des Atikamekw, même si les évolutions juridiques et légales évoluent en faveur des Nations autochtones, les procédures judiciaires restent éprouvantes, longues et onéreuses.

Par conséquent, il s’agit d’ores et déjà de trouver de nouvelles façons de dialoguer autour de l’exploitation des ressources naturelles de ces territoires et d’évaluer équitablement la redistribution des retombées socioéconomiques. Une partie qui s’annonce épineuse, mais non irréalisable. L’Histoire est en marche; elle implique activement les Premières Nations qui réaffirment leur identité, leur place et leur droit de cité dans le paysage sociopolitique canadien.