La crise d’Octobre 1970 est l’un des événements de l’histoire québécoise les plus connus et les plus marquants, mais demeure néanmoins enrobé d’un mystère – en particulier autour des faits et gestes de la cellule Chénier, responsable de l’enlèvement et de la mort de Pierre Laporte. Ce mystère a alimenté aussi bien la spéculation que la fiction (pensons à La Constellation du lynx de Louis Hamelin). Avec Les Rose, une partie du voile est levé, par le biais d’un portrait intimiste de cette famille dont le nom, plus que tout autre, rime avec Octobre.
Élaboré sur une période d’environ huit ans par Félix Rose, fils de Paul Rose, figure la plus connue (et spectaculaire) du groupe de ravisseurs du ministre Laporte, le film est tout à fait transparent quant à sa démarche. Il adopte un regard résolument personnel, celui d’un fils qui cherche à mieux connaître son père et les siens, lui qui a toujours gardé le silence autour de ces événements. La figure du frère, Jacques Rose, silencieux de l’extérieur, mais tout aussi bouillant de l’intérieur, sert de fil conducteur au projet : les discussions avec celui-ci nous donnent un accès privilégié aux préoccupations, tribulations, hésitations et convictions qui animaient la paire.
Mais, alors que le risque de verser dans la sensiblerie est grand avec ce genre d’exercice, Félix Rose l’évite habilement. Son film est imprégné d’une grande tendresse sans pour autant faire dans la complaisance. Cela est en grande partie dû au souci constant d’ancrer le récit dans un contexte social : celui de Ville Jacques-Cartier et de ses taudis ouvriers d’abord, puis celui de la jeunesse assoiffée de liberté qui se retrouve en Gaspésie à la fin des années 1960, puis celui du milieu carcéral, où Paul Rose passe plus de dix ans de sa vie. Cette façon par laquelle les récits individuels sont replacés dans leur contexte permet à l’histoire de la famille Rose — aussi singulière soit-elle — de s’universaliser, de devenir celle des francophones du Québec dans leur ensemble.
Cette histoire, elle parle également d’éducation, celle des enfants des milieux ouvriers qui, pour la première fois, ont eu accès aux savoirs des études supérieures et, par là, aux outils qui leur ont permis de saisir leur condition aliénée et d’entrevoir la libération. La formation des comités citoyens, qui avaient pour but de diffuser ce savoir nouvellement acquis au sein de la population en général, puis les descentes policières dans ceux-ci sont d’ailleurs présentées comme ce qui a mené Paul et Jacques Rose à l’action politique directe : «On a ouvert les yeux en même temps.» Cette répression politique de l’éducation populaire prend l’aspect d’un déni de démocratie, et c’est dans la liberté démocratique que les deux frères et leurs acolytes fondent leur idée de l’indépendance, refusant tout ethnicisme ou chauvinisme. Les images de Paul Rose frappant sur des casseroles en 2012 (soit environ un an avant sa mort) montrent d’ailleurs bien comment ce triptyque éducation-démocratie-liberté conserve toute sa pertinence aujourd’hui.
Or, s’il y a bien un défaut dans ce film, c’est celui de passer très rapidement sur les trente dernières années de la vie de son principal protagoniste. Alors que l’enfance à Ville Jacques-Cartier, la jeunesse à la Maison du pêcheur à Percé, les événements d’Octobre, le procès qui s’ensuivit ainsi que les années de militantisme de Paul Rose en milieu carcéral sont richement couvertes, les années suivant sa libération en 1982 sont esquissées sans grand détail – alors que leur intérêt pour la compréhension du Québec contemporain n’est pas moindre. On aurait bien pris une vingtaine de minutes supplémentaires.
En contrepartie, le film fait un usage très habile de différentes archives (bulletins de nouvelles, films familiaux, œuvres produites par l’ONF), dont la quantité et la qualité surprennent. Si la forme n’a rien de révolutionnaire, elle est parfaitement maîtrisée. On retiendra en particulier les enregistrements de Paul Rose s’adressant à sa mère à partir de sa cellule de prison, qui nous rappellent qu’une lutte menée par amour ne se fait jamais au détriment des siens, mais plutôt avec et au nom de ceux-ci.
Malgré son caractère intime (ou grâce à celui-ci?), Les Rose a des vertus documentaires certaines qui pourraient intéresser les enseignant.e.s d’histoire de niveau secondaire, collégial et même universitaire, de même que toute personne soucieuse de comprendre ce qui s’est passé au Québec dans les années 60, 70 et 80. Car il s’agit bien d’une histoire de famille, de la petite et de la grande.
Les Rose, à l’affiche à partir du vendredi 21 août.
Les Rose - (Bande-annonce 30 sec : Bientôt à l'affiche) from NFB/marketing on Vimeo.