Militant engagé dans diverses luttes sociales menées par la gauche québécoise, François Saillant est habité du désir de changer la société. Longtemps impliqué auprès du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) et membre de Québec solidaire, il retrace l’histoire de cette famille politique, la sienne, dans *Brève histoire de la gauche politique au Québec : de l’action politique ouvrière à Québec Solidaire.**
Ricochet a rencontré François Saillant, qui a écrit cet ouvrage pour raconter des combats politiques « méconnus ou oubliés ».
Bruno Marcotte : Pourquoi avoir choisi de débuter votre Brève histoire avec les luttes ouvrières de la fin du 19e siècle?
François Saillant : Mon objectif était d’établir un lien entre la formation de Québec solidaire et les événements l’ayant précédé, là où existait un manque historique. En traçant les événements, un à un, j’en suis vite arrivé en 1880, avec la première tentative d’organisation des travailleurs et travailleuses. Quoique embryonnaire, elle avait comme objectif fondamental d’améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière et mettait surtout de l’avant des revendications syndicales.
BM : Si vous deviez isoler quelques-uns des moments phares de l’histoire de la gauche politique au Québec, quels seraient-ils?
FS : Le Parti communiste du Canada (PCC) des années 1930 est assurément un incontournable, ne serait-ce qu’en raison des figures marquantes qu’il a portées. On pense d’emblée à Fred Rose, député élu, mais il y a aussi Léa Roback, figure moins connue peut-être, mais ayant tout de même marqué le mouvement de manière durable. Son implication, sur le plan organisationnel entre autres, a été d’une importance majeure et son combat comme féministe et syndicaliste a perduré jusqu’à son décès, en 2000.
On peut aussi penser au Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) des années 1960, période lors de laquelle la question nationale québécoise s’est consolidée.
Plus récemment, les années 2000, avec Françoise David et François Cyr en tête, ont été déterminantes pour la gauche politique. C’est à ce moment qu’elle a finalement fait montre d’une volonté d’unité, comme en témoigne la fusion d’Option citoyenne et de l’Union des forces progressistes en Québec solidaire.
BM : Québec solidaire est ouvertement indépendantiste, le RIN l’était également. Les idéologies de gauche ont-elles, dans leur essence, des atomes crochus avec l’indépendance du Québec?
FS : Historiquement, « la reconnaissance du fait canadien-français » a été l’objet de tensions au sein des partis de gauche. Au Parti communiste du Canada par exemple, des divergences d’opinion majeures quant à la nature du Québec ont conduit au départ et à l’exclusion de certains membres. Dans les années 1970, des groupes plus radicaux comme les Marxistes-léninistes évacuent complètement la question de l’indépendance, prônant plutôt l’idée d’un prolétariat uni d’un bout à l’autre du Canada. Ce faisant, les deux concepts n’ont pas toujours été liés de manière organique.
Or, vraisemblablement, si on veut qu’un projet socialiste – un projet de changement social profond – survienne, le Québec a besoin d’être en contrôle de l’ensemble de ses outils. En ce sens, c’est sûr que le changement passe par l’indépendance du Québec.
BM : À ses débuts, la gauche politique avait comme cheval de bataille le syndicalisme. Ses revendications se font aujourd’hui plus nombreuses. N’y a-t-il pas un risque qu’elle se perde à vouloir être partout?
FS : Bien sûr les revendications de la gauche se sont diversifiées avec par exemple la question nationale, la question autochtone, celles du féminisme, de l’exercice démocratique, de l’écologie ou encore de l’antiracisme. Conséquemment, il n’y a peut-être pas de combat unique qui ait aujourd’hui le rôle unificateur qu’avait à l’époque le syndicalisme. Ceci étant, ce sont des questions qui nous permettent de comprendre la réalité dans toute sa complexité et de changer la société dans toutes ses dimensions.
C’est un phénomène qui est parfois présenté comme une faiblesse, voire un éparpillement de la gauche : certains penseurs vont même jusqu’à dire que la gauche trahit la classe ouvrière. Or, celle-ci s’est transformée. Du fait des seuls Canadiens-français, elle est devenue la réalité de personnes racisées – on le voit avec les fameux « anges gardiens » – ou d’autres victimes d’oppression.
BM : Si vous deviez rééditer ce livre dans dix ou quinze ans, qu’aimeriez-vous pouvoir y écrire?
FS : J’aimerais raconter l’histoire d’une gauche unie et fière qui, en défenderesse de luttes sociales importantes, se retrouvent avec l’exercice du pouvoir. J’aimerais raconter l’histoire d’une gauche détenant les moyens de changer la société en profondeur, tant pour l’avenir de l’être humain sur la Terre que pour mettre fin à diverses formes d’oppression et d’exploitation.
Chose certaine, je suis persuadé que la gauche et les idées qu’elle véhicule sont là pour rester. Je crois aussi que Québec solidaire est condamné à progresser. D’un parti cantonné sur la ligne orange, on est devenu un parti de centres urbains avant d’en sortir, en 2018, avec l’élection d’Émilise [Lessard-Therrien dans Rouyn-Noranda–Témiscamingue]. Maintenant il va falloir prouver qu’on est plus que ça, qu’on est capable de représenter l’ensemble du Québec. Pour ce faire, il faut, comme le disait François Cyr, que « tout le monde sente qu’il y a de la place autour de la table ».