Dans le contexte où j’ai pris la décision de signer la lettre, j’étais en colère contre le traitement que la direction de l’Université d’ottawa a réservé à la professeure Verushka Lieutenant-Duval. C’était avant que le débat ne prenne les proportions qu’on lui connaît maintenant. Et, ayant lu et entendu différentes figures intellectuelles noires s’exprimer au sujet du mot-haine, expliquer qu’il pouvait être prononcé dans certains contextes mais pas dans d’autres, je croyais que le fond de l’affaire ne se trouvait pas de ce côté. Comme militant étudiant, en 2012, je me suis battu pour une université libre d’accès, et aussi pour que les savoirs soient libres. Comme professeur de cégep précaire depuis 8 ans, je suis particulièrement sensible à la façon dont les profs et chargé.e.s de cours sont traité.e.s dans les institutions, à tous les niveaux d’enseignement. Quand l’histoire de l’Université d’Ottawa est sortie, j’étais encore sous le choc de celle du professeur d’histoire décapité en France. C’est donc avec ma lentille de prof que j’ai d’abord traité cette histoire.

Mais, en cela, j’ai fait preuve de myopie.

Je n’ai pas compris ce que cette histoire viendrait à signifier pour les personnes noires, ou, plus largement, pour toutes celles qui peuvent être démolies à l’aide d’un seul mot-arme. En tant qu’homme gai, j’aurais dû y être plus sensible dès le départ.

De plus, dans cette histoire, plusieurs faiseurs d’opinion en sont venus à utiliser la liberté académique comme paravent pour défendre un statu quo social qui perdure au détriment des personnes visées par le mot au centre du débat. Et quand je défends la liberté académique, ce n’est certainement pas pour cela. Je ne défends pas une forme de licence qui autorise à n’importe quoi du moment où l’on se trouve en position de professeur, devant une classe. Dans ma pratique, j’enseigne à tenir compte des mots, de leur sens et également du contexte de leur emploi. J’aurais dû mieux écouter mes propres leçons.

Très rapidement, j’ai donc compris que j’avais mal choisi la voie pour exprimer mes préoccupations en signant cette lettre. Il y a eu d’abord les réactions de camarades sur les réseaux sociaux, et ensuite le texte d’Émilie Nicolas dans le Devoir. Puis, l’entrevue de Vanessa Destiné à Radio-Canada – qui reste pour moi l’intervention la plus pédagogique dans toute cette affaire. Il y a aussi eu la chronique de Patrick Lagacé dans la Presse, où les mots de Renzel Dashington sont venus me chercher particulièrement, comme humain mais aussi comme prof de philo, avec leurs résonnances socratiques : « Tu dois comprendre que tu ne comprendras jamais. ».

En effet, par ma naissance et mon parcours, il y a toute une part de vécu auquel je n’aurai jamais accès et qui m’aurait mieux guidé dans ma prise de position. Il faut savoir reconnaître ses erreurs et ses biais.

Enfin, il y a eu l’appel de Will Prosper ici même, à Ricochet, qui a résonné de manière particulièrement personnelle. Et c’est à la suite de l’invitation qu’il lance que j’écris ce texte aujourd’hui.

Au final, je me rends compte qu’en voulant faire preuve de solidarité à l’endroit d’une professeure, j’ai manqué à mon devoir de solidarité à l’endroit des personnes racisées, surtout noires, de mon entourage et en général. En dénonçant ce qui me paraissait – et me paraît toujours – une erreur, un abus de pouvoir, j’ai moi-même commis une erreur. Ou deux erreurs : celle d’avoir mal évalué la portée du mot – oui, malgré les contextes et les intentions qui peuvent varier radicalement – pour les personnes qu’il concerne le plus intimement; puis celle d’avoir mal compris la portée et la charge de ce débat. Pourtant, il y aurait eu d’autres moyens de le faire, de manifester ma solidarité sans créer de souffrance supplémentaire.

J’espère que l’on continuera à avoir des discussions sur l’emploi des mots, sur l’accès aux savoirs, sur la diversité des personnes qui les disséminent et sur la nécessité de protéger nos institutions d’enseignement des forces économiques et managériales qui veulent les enrégimenter, mais aussi de les ouvrir à toutes ces personnes – racisées, autochtones, pauvres ou avec des limitations fonctionnelles – qui y sont encore sous-représentées, aussi bien sur les bancs qu’au-devant des classes. On n’a pas à opposer ces enjeux : c’est l’un des problèmes du débat actuel au Québec. J’y ai pourtant contribué en quelque sorte. Pour cela, et parce que je sais que la vue de mon nom dans cette liste a heurté des personnes – certaines qui me sont chères, d’autres qui me sont complètement inconnues –, je présente mes excuses.