Services sociaux

Le communautaire doit guérir de ses maux

Réponse à « L'envers du communautaire »
PxHere

Ça fait maintenant près de 10 ans que j'œuvre dans le communautaire, autant comme étudiant à la maîtrise rédigeant un mémoire portant sur le financement, que comme coordonnateur d’activités et depuis plusieurs années Directeur général d’un organisme jeunesse. J’ai fait mes classes, et j’en ai vu des choses. J’en ai dénoncé des situations moi aussi, et je le ferai encore. On est dans le communautaire pour faire évoluer la société et notre dévouement n’a d’égal que notre passion.

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Un article circule beaucoup ces jours-ci. Ça me fait l’effet d’un ongle sur un tableau noir. Pas que je sois en désaccord sur le fond du problème, au contraire, je pense juste qu’il ne faut pas tomber dans le panneau de la généralisation et que les nuances font du monde ce qu’il est. Voici mon commentaire sociétal tel qu’inspiré par l’article l’envers du communautaire.

Société hautement performante

C’est important d’adresser le fait que ce l’autrice dénonce (mauvaises pratiques de gestion, intimidation, culpabilisation, pression à atteindre des résultats et manque de ressources) n’est pas propre au communautaire. C’est un problème de société qu’on a sur les mains. Une société pour laquelle la performance est quantifiable et tellement importante. Nombre de gestionnaires de PME, de corporations et oui du communautaire, tombent dans le panneau d’un leadership axé sur les résultats qui oublie l’être humain. Personnellement, je n’adhère pas à cette philosophie et je connais plusieurs autres directions pour qui c’est l’humain avant tout. Évidemment, mieux mon équipe se porte, mieux se portera mon organisation et, dans notre cas, nos jeunes.

Ça ne date pas d’hier cet intérêt pour les résultats. Vous rappelez- vous de la réforme Barrette de 2015? Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué?

Mon expérience personnelle me pousse aussi à aborder le thème de l’anxiété de performance. C’est un thème à la mode qui nous touche beaucoup nous les Québécois. J’ai d’ailleurs récemment acheté le livre de la psychologue Nathalie Parent sur le sujet pour mon équipe. Depuis plusieurs années, on observe une hausse des demandes d’aide sur le sujet. D’ailleurs au sein de mon organisme c’est un thème qu’on retrouve souvent au cœur des problématiques que veulent travailler nos adolescents.

C’est important quand on dénonce des situations d’aussi regarder les causes pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. C’est un peu le principe pour lequel on enseigne l’histoire à nos enfants : éviter de retomber dans les mêmes pièges. C’est un peu ironique quand on y pense. Ce que je propose, c’est de faire de la prévention en agissant sur les causes des problèmes, alors que les appels de projets que j’ai vus dans les dernières années ne voulaient rien savoir d’un projet de prévention puisque c’est difficilement quantifiable. Sortir un itinérant de la rue, c’est facile à observer. En empêcher un de s’y rendre, c’est difficile de prouver quelle action l’a empêché de tomber. Le seul moyen de le quantifier serait d’enlever tous les organismes qui agissent en amont et de voir s’il y a bel et bien un changement. Vous comprenez pourquoi c’est une bien mauvaise idée.

Je me permets de résumer: nous avons ici une relation de cause à effet et une situation de l'œuf ou de la poule. Est-ce que notre société est hautement performante parce que nous accordons autant d’importance aux résultats ou est-ce l’inverse? Il est temps qu’on commence à défaire ce nœud, et l’intérêt accru pour l’anxiété de performance me montre qu’on avance dans la bonne direction. Il est de moins en moins tabou de nommer un problème de santé mentale, une dépression ou un épuisement professionnel. Quand j’étais enfant, on valorisait les personnes qui pouvaient toujours en offrir plus maintenant on valorise aussi ceux qui mettent leurs limites et les respectent. Rome ne s’est pas bâtie en une journée.

Les maudits patrons

On l’entend souvent, celle-là, et si on lit le texte de Mélanie Ederer en tant que gestionnaire, on ne peut que se sentir visé par une tonne d’accusations. C’est important de rappeler que tous les maux ne sont pas de notre faute. Je vais aborder le bout qui a le plus fait réagir les nombreuses directions de mon réseau, pour qui le harcèlement au travail s’oppose autant à leurs valeurs que pour tous les intervenants.

Parlez à vos gestionnaires: eux aussi ont de la pression, beaucoup même. Avec la Covid, on ne calcule plus nos heures, et du bénévolat on en fait aussi. On le fait par amour. Pour nos employés et pour nos usagers. On est tous dans le même bateau, et oui notre bateau prend l’eau en ce moment.

C’est monnaie courante de penser que personne ne demande de compte aux gestionnaires pourtant, nous avons un conseil d’administration, des bailleurs de fonds, des employés, des bénévoles, ça fait beaucoup de personnes qui ont des attentes envers nous et des attentes... pour hier.

Nous ne sommes pas de grands méchants loups, ni même le vrai problème du communautaire. Oui certains sont inadéquats, j’ai par contre aussi rencontré des employés inadéquats dans les dernières années et je ne mets pas tous mes employés dans le même panier pour autant. La plupart sont des perles avec un cœur grand comme le monde. Cessons les généralisations. C’est trop facile de s’emporter et de perdre de vue la globalité de la situation. C’est important que les patrons et les employés du communautaire travaillent main dans la main si on veut que les conditions de tous soient meilleures.

Le sous-financement ou la provenance de beaucoup de pressions

En santé et service sociaux, on ne représente qu’un peu moins de 2% du portefeuille du MSSS. C’est bien peu pour tout ce qu’on fait. Oui, il y a des organismes qui ont choisi de délaisser les valeurs du communautaire pour se coller à la vision des bailleurs de fonds. Quantifions au maximum nos services, coupons au maximum les coûts, vive la méthode LEAN. De ces bailleurs de fonds, le plus important est le gouvernement, autant le provincial que le fédéral qui envoie le message que les résultats sont plus importants que la qualité du service et que la santé mentale du personnel.

Des choix faciles, il y en a, mais comment financer son organisme n’est pas l’un de ses choix faciles qu’on prend rapidement sans trop y penser. Malheureusement, en 2020, la voie la plus facile correspond souvent à travestir la mission de son organisme pour remplir les attentes des appels de projets. C’est important de dénoncer ça et de continuer d’exiger un rehaussement du financement à la mission.

En conclusion

On ne changera pas le monde en quelques heures, mais c’est bien de parfois prendre le temps de rêver avant de retrousser nos manches et de faire notre part pour aider notre prochain.

Le nerf de la guerre, c’est le financement des organismes. Non le communautaire n’est pas un vestige du passé, mais il faudra qu’on travaille tous ensemble à dénoncer les non-sens et lui redonner ses lettres de noblesse.

Permettons-nous d’y croire, respectons nous et continuons de demander cette reconnaissance qui ne vient que trop lentement. Un jour je n’ai aucun doute que nous serons reconnus en tant qu’individu, en tant que vecteur de changement et même financièrement.

À toi qui a dénoncé une situation, j’espère que tu sauras nous revenir d’ici-là. Le communautaire ne peut se passer de passionnés.

Jonathan Dussault, administrateur de deux regroupements d’organismes communautaires

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