Le 25 novembre dernier, le légendaire Argentin Diego Maradona est mort d’une crise cardiaque. Il avait 60 ans. Son parcours pour atteindre l’élite du football était à la fois un miracle sportif et un phénomène socioculturel unique en son genre.

Bien que l’on considère parfois que l’Argentine et ses habitants se tiennent à l’écart du reste de l’Amérique latine, la célébrité et l’influence hors du terrain du petit Maradona s’étendaient bien au-delà des frontières.

Son anti-impérialisme enflammé ainsi que son soutien pour les leaders politiques de gauche ont fait de lui une personnalité sportive dont l’influence politique n’a été dépassée que par Mohammed Ali dans l’histoire récente du monde.

Du barrio à Supervedette

El Pibe de Oro (« le gamin en or ») est né dans un bidonville de Buenos Aires d’un père qui travaillait dans la construction et d’une mère qui gagnait sa vie en lavant la vaisselle. Il s’est fait remarquer en Europe en jouant pour la petite équipe de Napoli, située dans le sud (modeste) de l’Italie, un fait inhabituel pour un joueur de ce calibre.

L’enfant prodige avait d’abord été transféré à Barcelone en 1982 pour la somme de cinq millions de livres (environ 8,5 millions CAD), un record mondial de frais de transfert à l’époque. Mais en Espagne, il a fait l’objet d’insultes racistes et de caricatures le dépeignant comme un mercenaire sud-américain qui ne jouait que pour l’argent.

Lors du match qui a mené à son départ deux ans plus tard, les réactions de Maradona face aux insultes racistes incessantes de la foule concernant l’origine indigène guarani de son père ont causé une bagarre entre son équipe et l’Athletic Bilbao.

Son transfert à Napoli pour sept millions de livres (environ 12 millions CAD) a établi un autre record. Porter les couleurs de Napoli était le destin de Diego. Le subalterne n’avait qu’une façon d’entrer dans l’histoire : en jouant, et en gagnant, pour une équipe loin d’être favorite.

Lors de la saison de 1986-1987, sa nouvelle équipe a décroché son premier titre national et est ainsi devenue la première équipe du sud de l’Italie à remporter le Championnat national.

Le champion du peuple

En 1986, El Diez (le numéro 10) a gagné une deuxième Coupe du monde pour son cher pays d’origine. La première victoire de l’Argentine avait eu lieu en 1978, à domicile, en pleine « guerre sale » de la dictature militaire. Cette victoire n’était pas considérée comme légitime. Mais la situation était bien différente lors du tournoi au Mexique huit ans plus tard.

Le quart de finale contre l’Angleterre se distingue par la fameuse « Main de Dieu » de Diego, ainsi que par son deuxième but quelques instants plus tard, qui est incontestablement le but en solo le plus remarquable de l’histoire du football international.

Pour l’Argentine, ce match avait une signification politique, car il ne s’est déroulé que quelques années après la guerre des Malouines. Il y avait des comptes à régler.

Évidemment, le peuple opprimé ne se soucie pas de la façon dont le premier but a été marqué. L’Angleterre était très mal placée pour faire la morale à qui que ce soit. La faute de main de Diego était insignifiante comparée aux fautes, voire agressions scandaleuses commises par les joueurs anglais tout au long du match.
Puis, son deuxième but a dissipé tout doute concernant ses talents d’athlète. L’Angleterre a bel et bien été battue.

Diego n’a pas marqué de point lors de la victoire en finale contre l’Allemagne de l’Ouest, mais de toute façon, il n’avait plus rien à prouver. Il était évident que cette Coupe du monde lui appartenait. Aucun joueur n’a dominé le tournoi comme il l’a fait au Mexique cette année-là.

Bien que, dans l’ensemble, son compatriote Lionel Messi soit peut-être un meilleur joueur en raison de sa constance et de sa longévité, Dieguito était bien plus qu’un joueur de football. Champion du peuple, il a remporté la Coupe du monde pour son pays. Il a porté sur ses épaules les espoirs d’une nation, d’une classe sociale, d’une culture. Et il a prouvé qu’il était à la hauteur dans ce rôle grâce à son courage et son caractère. Le personnage était encore plus impressionnant que son talent. (En termes de personnalité, celle de Messi est assez fade en comparaison).

Un talent exceptionnel, une personnalité exceptionnelle

Le défunt écrivain uruguayen Eduardo Galeano, parfois surnommé le poète officiel du football, a créé un lien entre le style de jeu flamboyant de Maradona ainsi que sa personnalité et ses problèmes en dehors du terrain :

Il était accablé par le poids de sa propre personnalité. Depuis ce jour, il y a longtemps, où ses fans ont scandé son nom pour la première fois, sa colonne vertébrale lui a causé des ennuis. Maradona portait un fardeau nommé Maradona qui lui a courbé le dos. Le corps sert de métaphore : il avait des maux de jambes, il ne pouvait plus dormir sans pilules. Il ne lui a pas fallu longtemps pour se rendre compte qu’il était impossible de vivre avec la responsabilité d’être un dieu sur le terrain, mais dès le début, il a su qu’il était hors de question qu’il s’arrête… Maradona est incontrôlable quand il parle, mais encore plus quand il joue. Personne ne peut prédire les acrobaties que cet inventeur de surprises imaginera pour le simple plaisir de déstabiliser les ordinateurs, des acrobaties qu’il ne répète jamais. Il n’est pas rapide, il ressemble plutôt à un taureau à pattes courtes, mais il porte la balle cousue à son pied et il a des yeux sur tout le corps. Ses acrobaties illuminent le terrain. Il peut gagner un match par un tir foudroyant, le dos au but, ou avec une passe impossible de loin quand il est encerclé par des milliers de jambes ennemies. Et personne ne peut l’arrêter lorsqu’il décide de remonter tout le terrain. » (Le Football, Ombre et lumière, 1995)

Faire rêver les gens en performant devant des millions de personnes vous rend surhumain. Tout le monde n’est pas Maradona, mais tout le monde peut rêver d’atteindre l’excellence.

Voilà l’essence de ce merveilleux sport que l’on appelle le football, et Maradona en a été le meilleur représentant. Repose en paix.