Propagande verte

N’attendons plus, nous dit-on : Tirons des leçons de la pandémie pour oser penser «l’économie autrement», comme nous le suggère Manon Cornellier dans une série de six articles publiés par Le Devoir.

«Demandez une relance verte et juste. Maintenant!» nous sommait Équiterre l’automne passé. Sous sa section «Rapports et contenus scientifique», la Fondation David Suzuki, quant à elle, publiait des «Recommandations pour le plan de relance économique après covid-19». Elle y affirme que «nous n’avons pas à choisir entre la relance économique et l’environnement : nous pouvons atteindre ces deux objectifs plus rapidement en prenant des décisions intelligentes dès maintenant». Économie circulaire ou durable, décarbonisation des investissements, investissements massifs pour passer au tout électrique et développer le secteur des énergies vertes et propres : Ces solutions relevant toutes du concept du développement durable nous sont présentées comme courageuses et nécessaires pour répondre aux exigences véhiculées par la science du climat. Mais passent-elles le test de la méthodologie scientifique?

Le roi est nu : Le développement durable est un échec

Le développement durable est un concept qui a été institutionnalisé dans les années ‘80 en réponse au constat que la trajectoire des sociétés dominantes mènerait à la dégradation de l’habitabilité de la Terre si aucun changement significatif n’était apporté. Il permet aux États de continuer leur quête à la croissance infinie du PIB, en promettant qu’un découplage entre croissance économique et ravages écologique est possible via les pistes de solutions mentionnées plus haut.
Or, comme l’expose l’Agence européenne pour l’environnement dans une récente publication, les revues de littérature portant sur le sujet convergent vers la même conclusion : Aucun indice ne permet de croire qu’un découplage global, soutenu et suffisamment rapide n’ait eu lieu ou puisse avoir lieu dans le futur de manière significative.

Depuis bientôt 45 ans, on s’acharne donc à nous convaincre que le modèle capitaliste peut perdurer sans que nos activités économiques n’aggravent davantage la catastrophe écologique en cours, sauf que les évidences scientifiques appuyant cette croyance font défaut.

Cachons sous un voile vert ces injustices que nous ne saurions voir

Peut-on se consoler en se disant que le Green New Deal, la relance verte ou tout autre concept qualifié d’innovant pour mettre le développement durable aux goût du jour, sont au moins des voies justes à suivre?

La question est rhétorique. Le développement durable détourne notre attention des injustices qu’il implique.

Ce capitalisme vert n’est pas le changement de paradigme qu’il prétend être. Il poursuit les pratiques extractivistes et colonialistes permettant aux sociétés dominantes de continuer à prospérer sur le dos de populations et d’écosystèmes vulnérabilisés, voire anéantis à tout jamais.

Expropriations sans recours, externalisation des contaminations de l’air de l’eau et du sol par les activités minières, exploitations d’humains, parfois d’enfants, dans des conditions dangereuses pour aller chercher des terres rares : Aussi immorale soit-elle, c’est la réalité qui se cache derrière l’appropriation par les pays riches des technologies vertes et propres pour une relance soit-disant juste.

Ce ne sont pas que les populations du Sud global qui subissent cette forme de colonialisme vert. L’an passé, la CAQ publiait son Plan d’action nordique 2020-2023 présenté comme «s’attard[ant] tout particulièrement au développement durable du territoire situé au nord du 49e parallèle». En introduction, François Legault assure que : «[ce] plan d’action […] a été pensé avec et pour les habitants du territoire nordique, mais il bénéficiera à tout le Québec». Nous y découvrons l’intérêt d’exploiter les minéraux critiques ou stratégiques nécessaires à la production des technologies numériques et à la transformation d’énergies renouvelables.

Pas de souci pour les dangers qu’on externalise dans le nord : le plan va «[o]ffrir une formation dans les communautés autochtones sur la gestion des rejets accidentels de contaminants […]. Cette action permettra aux villages nordiques d’être en mesure d’intervenir rapidement dans de telles situations et ainsi limiter les impacts causés à l’environnement.»

La décroissance : outil d’auto-défense contre l’insoutenable statu quo

Notre société exige que nous demeurions productifs et productives pour consommer et faire tourner la roue d’une économie tantôt noire tantôt verte, sans trop questionner l’augmentation de l’occurrence des maux chroniques comme les maladies cardio-vasculaire, le diabète, l’anxiété et la dépression.

Il est compréhensible que dans ce contexte, sur un bruit de fond d’informations continues et disparates véhiculées par les grands médias ou sur les réseaux sociaux, l’honnête citoyen·ne peine à s’y retrouver pour se forger une idée de la direction à prendre.

Sur les grandes plateformes d’information tant qu’au sein des grandes ONG, l’hégémonie du capitalisme laisse peu de place à l’idée d’un virage vers une sobriété choisie, seule voie sensée à emprunter si l’on tient véritablement à un avenir viable et enviable.

Contrairement à ce que laissent croire la Fondation David Suzuki et les autres tenant·e·s du développement durable, tant pour des questions écologiques qu’éthiques : Entre [c]roître ou durer, il va falloir choisir!
C’est la question existentielle à laquelle nous confronte Yves-Marie Abraham, professeur à HEC Montréal, dans un article paru l’été dernier et duquel je viens d’emprunter le titre sus-cité. Son livre «Guérir du mal de l’infini – Produire moins, partager plus, décider ensemble» paru en 2019 est une lecture nécessaire pour remettre en question l’ordre établi et explorer les pistes de solutions proposées par le mouvement de la décroissance. Ce mouvement cumule une vingtaine d’années de réflexions et de recherches au Québec.

Toujours chez nous POLÉMOS, un groupe de recherche indépendant et sans but lucratif récemment formé, «vise à sensibiliser le grand public à l’importance de commencer à préparer la société québécoise à une ère de postcroissance qui respecterait les limites biophysiques de la planète tout en étant beaucoup plus égalitaire et juste tant au sein de notre propre espèce qu’avec l’ensemble des espèces de la biosphère.»

Ce n’est pas d’idées fondées et rigoureuses dont nous manquons pour adresser l’insoutenabilité de notre mode de vie, mais bien de tribunes pour en informer la population et ouvrir un dialogue démocratique pour le bien commun.

Les grands médias et les grandes ONG, sans parler des dirigeant·e·s de nos gouvernements, font la sourde oreille à cet appel de remise en question de la course à la croissance économique infinie.

Il n’en tient donc qu’à nous, citoyen·ne·s et petits médias, de continuer à s’armer intellectuellement, de propager les propositions de la décroissance et de commencer à les mettre en application, ne serait-ce qu’en commençant par créer des espaces d’échange pour s’initier à décider ensemble.

Noémi Bureau-Civil, M. Sc., coordinatrice du groupe de recherche Polémos