Il y a là une forme d’automatisme de récupération plantant vite des balises autour d’un questionnement surgissant qui pourrait ébranler les certitudes établies s’il débordait le discours institutionnel hérité de la Loi sur les Indiens et si on le laissait apparaître dans toute sa complexité.
Objectivité journalistique? Un leurre. Radio-Canada, modus operandi.

Voici donc en quelques lignes, la manière SRC.

Un, pour appuyer une opinion, et discréditer les avis contraires, il faut aujourd’hui avoir l’air d’être neutre et objectif. Il faudra bien choisir le titre du document : Enquête, par exemple. Puis, en sous-titre, le sujet : Métis, être ou ne pas être (une allusion shakespearienne, ça fait toujours sérieux).

Ensuite, il vous faut trouver un interlocuteur extérieur qui va dire en long et en large ce que vous souhaitez entendre. Un élu autochtone, optionnellement Abénaki, fera parfaitement l’affaire. Peu importe si son avis n’engage pas tous les Autochtones, ni même l’ensemble des gens de sa propre nation : c’est un bien menu problème qu’avec un peu d’habileté on peut tourner à son avantage. L’important est d’avoir un porteur d’opinion dont le propos va servir de pivot éditorial à toute l’émission.

Évidemment, comme cet individu doit être le fil conducteur devant mener le spectateur à la conclusion voulue, il faudra éviter de lui poser des questions gênantes; sur le consensus comme tradition autochtone, ou sur les avis contraires au sien émis, via lettre ouverte, par des aînées abénakis de son propre village. C’est votre pilier, il ne faut donc pas altérer sa belle assurance.

Cet escamotage passera inaperçu pour la plupart des spectateurs.

Enfin on passe au montage qui doit, en bout de ligne, doter votre document de l’apparence d’une rigoureuse objectivité tout en dénigrant ce qui doit l’être sans avoir l’air de le faire.

Ainsi, on trouvera le moyen de de faire brièvement allusion à la lettre des aînés abénakis qui estiment que l’artiste, objet de votre lynchage médiatique, est de facto devenu un membre de la communauté et devrait être reconnu comme tel. Cela doit être présenté comme une curiosité latérale : ne pas donner donc la parole aux auteurs de ladite lettre.

Il est en effet de règle de ne citer que de façon la plus courte possible ceux et celles qui pourraient faire valoir de façon plausible l’autre côté de la médaille. Ainsi, dans l’exemple qui nous occupe, n’accorder que la plus petite minute de parole à une élue montréalaise capable d’articuler une défense crédible sur la question de son identité autochtone. Et laisser toute la place aux propos délirants de pseudo-chamanes ou d’un juriste halluciné qui prétend que quasiment tout un chacun peut aisément de plein droit se proclamer autochtone par métissage.

Un intimidateur de la pureté généalogique se transformera facilement en spécialiste : il suffit de le filmer, ordi devant et étagère de livres derrière. Aucun besoin de lui préciser qu’il lui faudra soigner son langage. Il sait très bien que la hargne et la calomnie, on se les réserve pour ses réseaux sociaux. Pour la télé, il jouera parfaitement le rôle qui lui est assigné.

On passe en fin d’émission aux fraudeurs qui se disent autochtones pour obtenir un avantage indu : c’est là que la guillotine tombe : tous les mêmes! « On les reconnait tous par le flou sur leurs origines véritables », ferez-vous dire à votre porte-voix autochtone.

Les personnes qui se sont dévouées pour les intérêts des Premières Nations, à partir d’un métissage incertain, et qui se sont intégrées de façon positive dans une communauté urbaine ou territoriale, sont ainsi amalgamées aux usurpateurs détraqués ou délictueux.

La boucle est bouclée : on a réitéré la prééminence de la Loi sur les Indiens quand il s’agit de savoir qui est autochtone et à quel titre : c’est selon les règles établies par l’État colonial, point. Autrement vous serez cloué au pilori.

Car il ne faudrait surtout pas que ces Premières Nations, dans un élan de souveraineté, se mettent à vouloir décider par elles-mêmes sous quels modes d’appartenance et selon quels droits et devoirs, un individu est lié à la communauté. On vient donc leur rappeler qui décide.

Aujourd’hui, Big Brother s’est fait communicateur. Cela s’appelle une télévision d’État.

André Dudemaine, travailleur culturel innu