Liberté d'expression

La « vraie » #CancelCulture

Les talk-shows et les universités n’ont rien à envier en termes d’extinction des voix dissidentes.
Photo: Geralt

Les plus assidu.e.s de mes lecteurs et de mes lectrices savent que je suis un grand fan des écrits de George Orwell. Comme Albert Camus et Gil Courtemanche, l’auteur de 1984 me sert un peu de maître à penser dans l’art de la chronique. Ses recueils d’écrits politiques et de textes publiés dans le magazine socialiste britannique Tribune pendant la Seconde Guerre mondiale me réconcilient toujours avec ce genre journalistique si malmené chez nous par une multitude de pense-petits et de scribouillards à gages qui devraient lever le pied sur leurs dépenses intellectuelles à crédit.

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Voici ce qu’il écrivait dans sa chronique (collectionnée sous le titre « À ma guise ») du 8 décembre 1944 :

« Ce qui me frappe de plus en plus [dans ma collection de pamphlets], [...] c’est l’extraordinaire méchanceté et malhonnêteté des controverses politiques de nos jours. Je ne veux pas seulement dire que les controverses sont acrimonieuses. Elles doivent l’être quand il s’agit de sujets sérieux. Je veux dire que presque personne ne pense vraiment que l’adversaire mérite un procès équitable ou que la vérité objective a de l’importance tant et aussi longtemps qu’on peut marquer un point dans le débat. »

N’y voyez-vous pas une similitude avec l’actuel débat sur la culture du « bannissement »? Un peu plus loin dans sa chronique, Orwell donne en exemple cette campagne de propagande anti-trotskyste au sein des milieux de gauche par les ardents défenseurs du camarade Staline, pour qui toute critique de l’URSS devenait de facto un soutien, même tacite, à Hitler.

Un magistral point Godwin, 12 ans avant la naissance de son créateur. On ne pourra jamais dire que la gauche politique n’est pas avant-gardiste.

L’imputabilité n’est pas de la censure

Le cas de Dany Turcotte me semble, dans ce contexte, fort simple. C'est le lot des ligues majeures médiatiques – à grands pouvoirs correspondent grandes responsabilités, pour paraphraser le grand Stan Lee et son personnage-phare, Spider-Man, dont il s’agit de la devise.

On appelle ça de l'imputabilité.

Mais c’était prévisible, nos usual suspects de la haute société médiatique, nos gloutons de la controverse prémâchée, les mêmes qui attaquent Dany Turcotte sans arrêt depuis des années pour sa rectitude politique l’ont transfiguré en martyr pour la liberté d'expression.

Depuis une semaine, sans relâche, sur les plus grosses tribunes, sans jamais saisir l'ironie (ou, plus probable, avec une malhonnêteté intellectuelle crasse), ils et elles ont déclaré ouverte la saison de chasse aux wokes, grands responsables, selon eux, de cette culture du bannissement.

Pourtant, Mathieu Bock-Côté s’est lui-même rendu coupable de cette pratique du bannissement à l’endroit du sens commun en septembre 2013 en parlant de l’impérialisme américain comme « relativement doux et bienveillant » – si je cite cet exemple précis, c’est qu’il a récemment fait l’objet de nombreux memes au cours des dernières semaines, dont un qui établissait un parallèle entre cette malheureuse citation (une autre! On perd le compte!) du « plus grand intellectuel de sa génération » et les crimes de guerre commis par des militaires américains en Irak au milieu des années 2000.

J’aimerais savoir ce qu’il ferait de ces militant.e.s décoloniaux et des activistes politiques indiens anti-impérialistes qui rappellent, avec justesse, l’héritage criminel d’un autre de ses héros, Winston Churchill. En fait, j’ai ma petite idée. Il va les traiter de minables et remettra en question leur intelligence, à leur insu, sans grand courage ni rigueur, deux qualités importantes vu sa position, mais qu’il n’exhibe à peu près jamais.

Au final?

Tout le monde s’exprime, personne n’est censuré, les pompiers ne sont pas encore devenus des préposés à l’autodafé et la pensée dominante conserve de beaux jours devant elle.

Le ton de la discussion monte? Et alors? N’est-ce pas le propre d’un débat sur la place publique?

Personne, à mon sens, ne devrait obtenir d’amnistie totale quant à toute posture publique, même si les personnes et les communautés marginalisées, qui cherchent à obtenir voix au chapitre, devraient au minimum toujours jouir du bénéfice du doute.

Résistances effacées

Dans sa chronique du 21 février dernier, Richard Martineau se permet un moment de fausse nostalgie de « la bonne vieille gauche » en y évoquant le cinéaste engagé britannique Ken Loach et Michel Chartrand.

En voilà justement deux qui ont goûté à la censure et au bannissement par le pouvoir. Chartrand s’est retrouvé en prison durant la Crise d’Octobre 1970.

Ken Loach, de son côté, est actuellement victime d’une odieuse campagne de salissage en Grande-Bretagne.

Son délit d’opinion? Son soutien envers le peuple palestinien, qui lui vaut des accusations d’antisémitisme. Des accusations facilitées par l’adoption quasi universelle de la « définition de travail » de l’antisémitisme proposée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste, qui rend suspecte toute critique des politiques d’Israël.

Samedi le 20 février, c’était un gag diffusé pendant l’émission Saturday Night Live qui attisait l’indignation sélective : on évoquait que la moitié des Israéliens étaient déjà vaccinés contre la COVID-19 en posant une question très rhétorique : « On se demande bien quelle moitié ».

Pourtant, le ministre israélien de la santé, Yuli Edelstein, a rejeté la responsabilité légale de son gouvernement de vacciner les citoyen.ne.s palestinien.ne.s de Gaza et de Cisjordanie se demandant, si tel est le cas, si l’Autorité palestinienne était de son côté responsable du bien-être… des dauphins dans la Méditerranée.

Pendant ce temps, les colons israéliens occupant illégalement le territoire cisjordanien recevaient leur dose, sous le regard d’hommes, de femmes et d’enfants palestinien.ne.s qui attendront leur tour, s’il vient.

La semaine dernière, l’Autorité palestinienne accusait le régime Netanyahu d’avoir bloqué la livraison de 2000 doses du vaccin russe Sputnik V, soit 20% du nombre de doses reçues de la part de la Russie.

Une violation probable de la 4e Convention de Genève, qui stipule à l’article 86 qu’une puissance occupante est responsable de faciliter la lutte contre les maladies infectieuses avec tous les moyens disponibles.

Ici, le mouvement Boycott, Désinvestissements et Sanctions croule tant sous les coups de Québec que d’Ottawa. En 2016, l’actuel ministre de la lutte contre le racisme Benoit Charrette s’inquiétait de la présence de ce mouvement au sein du Forum Social Mondial puisqu’il s’agit là d’un groupe « qui défend des positions anti-Israël qui vont à l’encontre du consensus international sur la solution négociée de deux États pour deux peuples au conflit israélo-palestinien ». Toujours en 2016, l’actuelle ministre de l’inculture Nathalie Roy, dénonçait une subvention accordée par le gouvernement provincial à l’organisme « Palestine House » qui s’était vu refuser le renouvellement d’une subvention fédérale pour « soutien à des groupes extrémistes » par le ministère de l’immigration en janvier 2012. Motif? L’organisme honorait en 2008 George Habash, fondateur du Front populaire de libération de la Palestine. Autre motif invoqué par le ministre d’alors, Jason Kenney? Le soutien de « Palestine House » à BDS.

Il y a quelques années, le philosophe Alain Deneault et les Éditions Écosociété se sont vus forcés de retirer « Noir Canada » des tablettes parce qu'il dénonce les crimes des compagnies minières canadiennes.

Encore aujourd’hui, les militant.e.s écologistes et des Premiers Peuples s’opposant aux projets pétroliers et gaziers se font taxer d’éco-terrorisme par des mercenaires médiatiques. Nos grands médias atténuent les voix dissidentes en accordant d’emblée une plus grande crédibilité à la version du pouvoir qu’à celles d’activistes.

Rappelez-moi encore qui possède réellement le gros bout du levier de cette #CancelCulture...

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