À 3h51 du matin, j’étais devant la page Go Fund Me en soutien à la mémoire de Rebekah Love Harry. Cette jeune femme de 29 ans est décédée à l’hôpital des suites des multiples coups de son assaillant, le 23 mars 2021. Cela a fait d’elle, la septième victime de fémicide (aussi dit féminicide) en 2021 et de son fils, le quatorzième enfant à avoir perdu sa mère dans une histoire de violence conjugale.
J’avais passé plusieurs heures de la soirée à discuter avec trois autres hommes des communautés noires, Will Prosper, Rito Joseph et Thierry Lindor, au sujet de la violence conjugale et du fémicide dans un live sur Instagram diffusé devant plus d’une centaine de personnes. Nous avons parlé de la violence conjugale avec toute la maladresse de gens qui sont encore en apprentissage d’un sujet qui est à la fois tabou et dont les issues fatales en viennent à être normalisées, dans ce présent contexte de pandémie. Avec quatre des sept féminicides touchant des femmes noires, et avec une volonté de ne pas stigmatiser nos communautés, la balance des inconvénients de ne rien faire ou d’initier au moins une amorce de dialogue, nous menait à créer un espace de dialogue organique, entre hommes, sur le sujet, après avoir vu, pendant si longtemps, des femmes noires être au coeur de mouvement de défense d’hommes noirs abattus par la police.
L’intersectionnalité provient de femmes noires. #MeToo provient de femmes noires. #BlackLivesMatter provient de femmes noires. Ainsi, suite à l’échange, je réalisais que lorsqu’une femme meurt sur un lit d’hôpital, en communiquant sa détresse de façon ultime par vidéo, je ne me gênais pas pour faire une demande d’accès à l’information à la dite institution. Toutefois quand une femme décède des mains d’un homme, conjoint, ex-conjoint, étranger, je faisais comme d’autres : un partage d'articles. Un post dans une story instagram. Un emoji triste sous un article. Mais sans plus.
Fémicide (se dit aussi féminicide)
Selon le site du Conseil du statut de la femme :
fémicide signifie meurtre d’une femme au simple motif qu’elle est une femme, quel que soit le contexte.
La pertinence du terme « fémicide » dans le contexte canadien a été démontrée le 6 décembre 1989, lorsqu'un homme seul est entré à l'École Polytechnique de l'Université de Montréal avec l'intention de tuer des femmes, leur accusant de son échec à obtenir l'admission au programme d'ingénierie.
Elle s’appelait Rebekah Harry, tuée le 23 mars à Montréal
Elle s'appelait Nadège Jolicoeur, tuée le 19 mars à St-Léonard.
Elle s'appelait Myriam Dallaire, tuée le 1er mars à Ste-Sophie.
Elle s'appelait Sylvie Bisson. tuée le 1er mars à Ste-Sophie.
Elle s'appelait Nancy Roy, tuée le 23 février à St-Hyacinthe.
Elle s'appelait Marly Édouard, tuée le 21 février à Laval.
Elle s'appelait Elisapee Angma, tuée le 5 février dernier à Kuujjuaq.
Et toutes ces personnes dont les histoires ne sont actuellement pas médiatisées, mais qui composent le quotidien sur une trame de fond de crainte incessante.
Parle à ton boy
Certes, j’ai un projet que je porte à bout de bras avec des jeunes ados que j’accompagne depuis 7 ans et avec qui j’ai abordé le féminicide de Polytechnique. Certes, j’ai tenté des jases avec eux sur la masculinité toxique. Certes, je me suis ouvert avec eux sur mes apprentissages continus en ce qui touche aux relations de couple. Certes, j’ai tenté de sensibiliser sur les termes, expressions et visions de la femme que nous reprenons à travers les musiques, propos et fantasmes que nous entretenons. Mais j’ai certainement échoué à aller plus loin que ce qui me semble être performatif et symbolique. Quand il s’agit de parler à des hommes adultes, de ce qui touche à la violence conjugale, quand il s’agit de brandir haut et fort toute l’indignation nécessaire pour lutter contre la masculinité toxique, je me sens aussi maladroit que le ministre Lafrenière quand il tente de vulgariser les raisons qui le poussent à ne pas reconnaître le racisme systémique dans le système d’éducation, de santé, de justice.
Quand Amel Zaazaa a publié son texte sur les sorcières, j’ai salué son courage. J’ai partagé le texte. J’ai échangé en privé sur le sujet, en abordant le silence ambiant des hommes. Notre silence. Nous, qui voyons arriver ce témoignage d’une amie.
Quand Will Prosper, documentariste et militant, a publié, un post sur Facebook informant de son acte récent de prise de contact avec quelques uns de ses potes, dans un souhait de briser le silence sur les fémicides en utilisant #Parteàtonboy, je réalisais qu’à travers cette pandémie, un fossé s'était créé entre moi et plusieurs hommes. Pendant la pandémie, mais même au-delà. J’avais en tête ce texte mentionnant que les hommes sont médiocres pour maintenir des relations où cet autre texte mentionnant que certains hommes réalisent la superficialité de leurs liens affectifs avec d’autres hommes. En tant que personne cisgenre, plusieurs de mes échanges me semblent plus transactionnels que spirituels, même en ce qui touche les efforts de lutte.
Cycle de la violence
Les hommes, je crois qu’on est concernés, complices et confus. On va parler des gestes posés par l’homme qui tue, comme étant une « perte de contrôle ». Hier, une amie œuvrant à titre de directrice d’une maison d'hébergement a passé des heures à revenir avec moi sur les concepts de base. Les 4 cycles de la violence conjugale. La tension, l’agression, la justification et la lune de miel. Quand je lui parlais de santé mentale, elle me parlait de choix. Quand je glissais vers la notion de perte de contrôle, elle revenait à la notion de quête de contrôle en faisant, notamment le lien avec la pandémie. Elle m’a fait voir que si j’avais la moindre ambition de rigueur sur le sujet, il était important de poursuivre la déconstruction de biais et de fausses croyances.
Elle soutenait le fait qu’une femme, dans la même semaine, peut vivre l’ensemble du cycle de la violence. Pour d’autres femmes, le cycle peut se dérouler sur des mois. L’oscillation peut mener à l’ambivalence de la victime qui souhaite que la personne qu’elle aime, mais qui la « contrôle », revienne à la phase de lune de miel.
Dans un contexte de pandémie, de couvre-feu et de déconfinement, la femme aura à composer avec différentes stratégies pour se protéger au coeur du danger. Son ambivalence portera toute la charge de sa sensibilité analytique. « Il va peut-être changer. Ce n’est pas le bon moment. Il a promis d’aller chercher de l’aide. »
« L’endroit le plus dangereux pour les femmes et les filles, c’est à la maison. » Carmen Gill, professeure de sociologie à l'Université du Nouveau-Brunswick
Agir
Alors que Will publiait hier sur sa page Facebook #Parleàtonboy, que Rito me contactait en proposant une marche collective, ce samedi possiblement, pour qu’on déconfine les réflexions masculines à ce sujet et que Thierry nous invitait en soirée à donner suite à cette jase que nous avions à quatre, aux petites heures du matin, un 12 mars 2021, sur l’importance de normaliser les jases – abordant, notamment, les relations qu’entretiennent les hommes –, je réalisais que nous n’avons plus le luxe de repousser les moindres stratégies pour s’en prendre à ce qui est dans notre cour.
Alors qu’un nouveau budget est présenté, il est impensable que ce dernier ne reflète pas une prise de conscience de ce que la dernière année a révélé.
Selon le dernier rapport de l'Observatoire canadien du fémicide pour la justice et la responsabilisation, au Canada, 160 femmes sont mortes des suites d'un acte violent en 2020, ce qui correspond à une femme tuée tous les deux jours et demi. Toujours selon le même rapport,
La minimisation et la sous-déclaration de la violence sexuelle dans les cas de fémicide sont probablement exacerbées lorsque les femmes sont tuées par leurs partenaires masculins, ainsi que pour les fémicides sexuels contre des groupes de femmes et de filles marginalisées, y compris, mais sans s'y limiter, les femmes et les filles autochtones, noires et celles qui ont un handicap.
Il sera dit que la séparation sera un mobile et un indicateur de fémicide basé sur le genre ou sexe et que les « assaillants considèrent leur conjointe comme une possession et ont souvent une attitude selon laquelle “si je ne peux pas t'avoir, personne ne le pourra”. » Encore là, la notion de contrôle sera le moteur même de la démarche. « Ils considèrent les femmes comme des objets qu'ils peuvent posséder et sur lesquelles ils ont le pouvoir de vie ou de mort advenant une séparation, pouvoir qui s'étend aussi souvent aux enfants. » Souvent, tant de gens diront, à couvert, c'est à la femme de partir. Le rapport répondra : « La séparation représente un risque accru de fémicide commis par un partenaire intime et, par conséquent, la femme essayait peut-être de partir lorsqu'elle a été tuée. »
Donc, on fait quoi, dans un contexte où on ne se voit plus, on se croise par ordinateur ou avec un masque au visage, dans un contexte de couvre-feu? Voilà toutes les questions qui m’animent et qui ont motivé ma participation aux volontés de déconfinement de réflexion sur la masculinité toxique. Comme mentionné par mon amie, c’était un effort intéressant. Toutefois, pour construire, il faut avoir de bonnes bases. Et afin de ne pas mener d’autres personnes vers des précipices réflexifs, je souhaite poursuivre mon apprentissage dans l’écoute, et non la passivité.
Tout est à faire. Comme mentionné dans cet article de Radio-Canada, il faut:
Étoffer la documentation rigoureuse des situations de violences relatives à l’ethnicité, au genre et aux comportements coercitifs contrôlants,
Faire de la prévention par l’entremise les campagnes de sensibilisation afin d’agir sur l’environnement socio-culturel qui normalise la façon dont nous, les hommes entrons en relation avec les femmes et toute la perception des relations amoureuses.
Favoriser des processus permettant de croire une victime qui dit craindre pour sa sécurité.
Avoir le courage personnel et institutionnel d’apprendre de ce qui a mené au décès de Marly Édouard, 32 ans, tuée d'une balle à la tête dans un stationnement résidentiel de Laval. Elle avait dit aux autorités quelques jours auparavant qu'elle avait été la cible de menaces de mort présumées.
Bref, investir autant que ce que le Gouvernement a investi pour nous faire croire que #cavabienaller.
Car dans les faits, ça va mal. #manenough #talktoyourboys #stopfeminicide #parleatonboy