Langue française

Le français comme langue publique commune

La construction d’une identité publique commune est autant la responsabilité des citoyens que celle de l’État. Elle doit dans tous les cas être compatible avec la reconnaissance d’identités publiques minoritaires.

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En ces matières, il ne faut pas être sur la défensive. Il faut être sur l’offensive sans faire offense au principe de réciprocité dans la reconnaissance des identités.

L’interculturalisme

La tentation est grande de souscrire à une approche prétendument inclusive en vertu de laquelle on serait en droit d’imposer un modèle de convergence culturelle ayant pour but d’intégrer les citoyens non francophones au sein de la majorité francophone, sans obligation de reconnaissance réciproque. La politique de la convergence culturelle est en ce sens l’exact opposé de la politique canadienne de multiculturalisme. Alors que cette dernière valorise le patrimoine culturel individuel des minorités, la politique de convergence culturelle valorise le patrimoine culturel collectif de la majorité. On oppose à la reconnaissance exclusive des minorités la reconnaissance exclusive de la majorité. Ces deux approches impliquent une reconnaissance à sens unique. L’interculturalisme devrait plutôt être le modèle adopté par le Québec, à savoir une politique de la reconnaissance réciproque entre une identité publique commune et des identités minoritaires publiques.

Il faudrait donc commencer par adopter une loi quasi-constitutionnelle d’interculturalisme (incorporée à une éventuelle constitution interne du Québec). Cette loi devrait être comprise comme étant motivée par une politique de reconnaissance réciproque impliquant le respect des droits collectifs du peuple québécois dans son ensemble ainsi que les droits collectifs minoritaires. Il faudrait exiger du gouvernement fédéral qu’il accepte l’application de l’interculturalisme sur le territoire québécois.

Une langue publique commune

S’agissant de la langue, quelle doit être la façon par laquelle on parvient à mettre en place une politique interculturelle de ce genre? Il faut à mon sens comprendre le principe du français langue officielle comme un principe visant à faire du français la langue publique commune. On ne parviendra pas à réaliser cet objectif par la soustraction de droits minoritaires. Il faut au contraire procéder par addition. Il n’est pas nécessaire pour s’affirmer de retrancher des institutions qui assurent une certaine vitalité aux minorités. On songe ici en particulier aux collèges de langue anglaise. Il ne faut pas étendre la loi 101 aux cégeps de langue anglaise. Il faut au contraire ajouter à leur reconnaissance la reconnaissance d’un socle identitaire commun.

Autrement dit, il ne faut pas des mesures qui traduisent la peur de disparaître. Il faut des mesures qui assurent la fierté d’apparaître. En effet, il n’est pas nécessaire de rabaisser les identités minoritaires pour préserver sa propre identité. On n’a pas besoin de protection, on a besoin d’affirmation.

En France, la constitution précise que le français est la langue de la République. Ce principe n’est pas une béquille pour contrer un danger d’assimilation. C’est un principe qui énonce une condition du vivre-ensemble. De la même manière, la reconnaissance du français comme langue publique commune est une condition du vivre-ensemble.

Une règle constitutionnelle

C’est en interprétant faussement la charte de la langue française comme une loi ordinaire visant à protéger les francophones du Québec contre l’assimilation que la Cour suprême du Canada a été incitée à manifester une certaine ouverture à l’égard des écoles passerelles. Après tout, les Québécois de langue française ne risquent pas d’être assimilés à la langue anglaise à cause de quelques dizaines de parents allophones pouvant faire passer leurs enfants de l’école privée de langue anglaise à l’école publique de langue anglaise. Les écoles passerelles sont donc compatibles avec la charte de la langue française comprise comme un rempart contre l’assimilation. Il en va toutefois tout autrement lorsque la charte de la langue française acquiert un statut quasi-constitutionnel. Il ne s’agit plus d’une mesure parmi d’autres ayant pour but de protéger la majorité contre l’assimilation. Il s’agit d’affirmer une règle du vivre-ensemble s’appliquant partout sur le territoire du Québec. Dans ce contexte, la tolérance à l’égard des écoles passerelles n’a plus sa raison d’être.

Pour refléter l’idée qu’il s’agit d’une règle du vivre-ensemble et non seulement d’une loi misant sur la peur de disparaître, il faudrait donc conférer à la charte de la langue française le statut d’une loi « quasi constitutionnelle » avec l’objectif de se doter éventuellement d’une constitution interne dans laquelle cette charte serait incorporée. Il faudrait aussi constitutionnaliser la reconnaissance des droits linguistiques minoritaires, autochtones et anglophones.

Il faudrait en outre adopter une loi de la citoyenneté québécoise ayant le même statut de loi quasi-constitutionnelle (incorporée elle aussi éventuellement à la constitution du Québec) et en vertu de laquelle il serait affirmé que tout nouvel immigrant voulant devenir citoyen canadien devrait manifester des aptitudes à parler français s’il réside en territoire québécois. Par la même occasion, il faudrait exiger du gouvernement fédéral qu’il modifie sa loi de la citoyenneté pour ne pas que la loi québécoise induise deux catégories distinctes de citoyens. En vertu de la loi canadienne (article 5 (1) d ), un immigrant actuel peut devenir citoyen canadien sur le territoire québécois même s’il ne manifeste pas des aptitudes à parler français. Pour éviter qu’il puisse devenir citoyen canadien sans être reconnu encore comme citoyen québécois, il faudrait que l’État canadien modifie sa loi.

Ayant démontré des aptitudes à s’exprimer en français, ce citoyen pourrait ensuite s’il le souhaite opérer un transfert vers l’anglais. Qu’à cela ne tienne, sa première langue officielle apprise et parlée aurait été le français et c’est tout ce qu’il faut exiger pour s’assurer de son intégration à la société québécoise.

Il faudrait aussi exiger du gouvernement canadien qu’il accepte l’application de la charte de la langue française aux institutions à charte fédérale situées sur le territoire québécois.

À ces grandes orientations, on ajouterait des règlements plus spécifiques. On augmenterait le nombre de points accordés à la capacité de s’exprimer en français pour tout immigrant voulant résider sur le territoire du Québec. On assurerait une meilleure intégration linguistique aux immigrants qui choisissent de résider en sol québécois, incluant les réfugiés et ceux qui s’installent au Québec en fonction du principe de la réunion des familles. On imposerait à l’échelle de l’ensemble des cégeps, y compris des cégeps de langue anglaise, une dimension québécoise essentielle aux cours chargés d’initier les étudiants à la culture (littérature, théâtre, cinéma, etc.), à l’histoire, à la politique, à la philosophie, à la sociologie, au droit et à la géographie. Enfin, on imposerait la francisation des entreprises comportant 25 employés et plus.

Sur la voie d’une constitution interne

Tel qu’indiqué précédemment, il faudrait enfin que cette démarche d’affirmation nationale s’inscrive dans le projet plus général d’une constitution interne pour le Québec. Il ne s’agirait pas de proposer une constitution devant se conformer à l’ordre constitutionnel canadien actuel, qui a été imposé sans référendum et allant à l’encontre de la volonté explicite de l’assemblée nationale du Québec. L’adoption de cette constitution interne devrait, en effet, fort probablement exiger des amendements à la constitution canadienne.

Cette constitution interne incorporerait la charte des droits et libertés (amendée par des clauses progressistes telles que le droit au logement, le mode de scrutin proportionnel mixte, la liberté de presse et la liberté académique), la charte de la langue française, une charte de la laïcité ouverte (et non la loi 21 qui enlève des droits et est en ce sens négative au lieu d’être inclusive), de même qu’une éventuelle charte de l’environnement.

Cette constitution affirmerait l’existence de la nation québécoise et inclurait l’adoption d’un hymne national (je l’imagine conçu à partir d’une version écourtée de la chanson de Gilles Vigneault Les gens de mon pays). On pourrait introduire l’idée d’un sénat québécois constitué à partir des 17 régions du Québec.

Cette constitution incorporerait la Déclaration sur les droits des peuples autochtones de 2007, et reconnaîtrait les droits consacrés de la minorité anglophone. Elle inclurait également les droits polyethniques des minorités historiques ou principalement issues de l’immigration.

Une constitution rassembleuse

La constitution interne du Québec pourrait être proposée autant aux Québécois fédéralistes qu’aux Québécois souverainistes. Tous pourraient s’accorder à dire que le Québec est plus qu’une société distincte, car c’est une nation inclusive de l’ensemble des citoyens du Québec.

À ce titre, le Québec aurait dû se voir accorder un statut particulier au sein de la fédération canadienne. Il aurait dû jouir d’un régime de fédéralisme asymétrique permettant de maintenir la décentralisation des pouvoirs prescrite par l’ordre constitutionnel de 1867, reconnaissant conséquemment ses compétences exclusives dans des matières telles que la culture, l’éducation, la santé, la gestion des ressources naturelles et les municipalités. L’asymétrie consisterait dans le maintien de cette décentralisation pour le Québec, et ce, quelle que soit l’orientation (centralisatrice ou décentralisatrice) prise par les neuf provinces canadiennes. Le Québec aurait aussi dû profiter d’un droit de retrait avec pleine compensation financière sans condition pour tout programme fédéral intervenant dans ses compétences exclusives. Il aurait fallu aussi que soit constitutionnalisée la doctrine Gérin-Lajoie en matière de relations internationales en vertu de laquelle le Québec peut établir des accords avec d’autres États dans des matières relevant de ses compétences.

Malgré les désaccords profonds entre les fédéralistes et les souverainistes québécois, tous peuvent s’entendre sur les principes fondamentaux affirmés dans la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec (loi 99) qui vient d’être reconnue et approuvée devant les tribunaux. Les principes fondamentaux de cette loi devraient figurer dans la constitution interne du Québec.

Conclusion

On peut bien entendu discuter de l’une ou l’autre des idées avancées dans ce texte. L’important est de saisir l’orientation générale qui y est proposée. Le Québec doit s’engager dans la formulation des règles gouvernant le vivre-ensemble. Il s’agit d’une orientation affirmative qui tranche nettement avec l’esprit chagrin qui anime trop souvent les interventions sur la langue. Le Québec n’a pas besoin pour s’affirmer de le faire sur le dos des minorités. Ce n’est pas l’attitude qu’il faut prendre en matière de religion, et ce n’est pas non plus l’attitude qu’il faut prendre en matière de langue.

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