Logement et accès à la propriété

Génération désenchantée

« Quel âge aviez-vous lorsque vous avez acheté votre première maison? » demandait Statistiques Canada sur la plateforme Twitter par le biais d’un sondage-maison en anglais en janvier 2020. Une question qui a aussitôt de provoqué les railleries des milléniaux en raison de l’absence de l’option « I can’t afford one ».

Votre annonce ici
Vous n'aimez pas les publicités?
Les publicités automatisées nous aident payer nos journalistes, nos serveurs et notre équipe. Pour masquer les annonces automatisées, devenez membre aujourd'hui:
Devenez membre

Difficile de prédire quel sera l’impact de la COVID-19 sur l’accès à la propriété pour les premiers acheteurs au Canada, en particulier dans les grandes métropoles. Il s’avère que cet accès était déjà entravé bien avant la crise sanitaire.

La professeure Nancy Worth, de l’Université de Waterloo, est une géographe féministe dont les travaux examinent la façon dont les milléniaux et les jeunes adultes jonglent avec un marché de l’emploi de plus en plus incertain et un accès à la propriété difficile. Selon elle, ce n’est pas tant la pandémie qui est à prendre en compte. C’est davantage l’incertitude de ces marchés qui explique pourquoi un nombre grandissant de jeunes adultes demeurent chez leurs parents, malgré un désir de devenir propriétaire. C’est le cas pour environ un tiers d’entre eux à l’échelle nationale dans des grandes villes et jusqu’à la moitié dans des villes comme Toronto. Toutefois, elle nuance que la pandémie a certainement exacerbé ce climat d’incertitude et d’imprévisibilité. À la lumière de ses travaux de recherche, ce qui était possible pour les baby boomers ne l’est plus autant pour les milléniaux à bien des égards.

Sans surprise, les meilleures opportunités de travail et d’emploi se trouvent dans les grandes villes. Or difficile de s’y établir avec une jeune famille. À titre indicatif Radio-Canada rapportait il y a quelques semaines des données de l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec.

À Montréal, le prix médian d’une maison unifamiliale a bondi de 28% pour atteindre 460 000$ en février, soit 100 000$ de plus que l’année précédente.

Ce n’est pas sans creuser davantage d’inégalités et de disparités entre ceux qui ont la possibilité de capitaliser sur le revenu de leurs parents ou toute autre forme d’héritage versus ceux qui ne sont pas nés avec cette même chance.

Il y a également l’incertitude entourant ce qu’on appelle les « rénovictions », un tour de passe-passe par lequel des propriétaires évincent illégalement des locataires pour cause de « rénovations », un phénomène dont on parle de plus en plus dans les médias depuis le début de la pandémie et contre lequel une résistance populaire s’organise.

Louis Gaudreau, professeur à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal, estime que la façon de faire actuelle ne fonctionne pas et ne répond pas aux besoins de la population. D’une part, la disponibilité des logements varie énormément d’un secteur à l’autre, ceux situés dans les quartiers centraux étant une denrée plus rare. Ironiquement, si davantage de logements ont été construits dans la métropole, ils n’ont pas été pour autant plus abordables puisque le public cible de ceux-ci étaient essentiellement des gens mieux nantis. Ces logements disponibles ne sont pas forcément accessibles et ne correspondent pas à la capacité de payer de la moyenne des gens.

Pour le professeur, il y a possiblement un élément de conjoncture avec la pandémie et le fait qu’un nombre grandissant de ménages veulent acheter. Il y a également beaucoup de spéculateurs, c'est-à-dire, d’individus qui cherchent à tirer profit de la situation actuelle. Or, le portrait qui se dessine depuis l’an dernier était prévisible depuis les vingt dernières années considérant l’intérêt grandissant des investisseurs pour l’immobilier, intérêt ayant été facilité par les banques. De plus, même s’il existe au Québec des mécanismes pour contrôler la hausse des loyers, la réalité sur le terrain est toute autre. Il suffit de faire un tour sur Kijiji pour constater la disparité entre les statistiques officielles pour le prix médian d’un loyer et les annonces affichées en ligne.

Véronique Laflamme, porte-parole du FRAPRU (Front d’action populaire en réaménagement urbain), explique que les jeunes sont surreprésentés parmi les locataires qui abritent des logements inabordables, consacrant une part de leur revenu beaucoup trop importante pour se loger (plus de 30%). Selon elle, la solution doit passer par un meilleur contrôle des loyers et davantage de logements hors marché privé (soit des logements sociaux) abordables, salubres et sécuritaires afin d'offrir plus d'options aux locataires. La pandémie exacerbe les inégalités et la discrimination dont certains propriétaires font preuve auprès de leurs locataires.

Pour la professeure Worth, le professeur Gaudreau et Mme Laflamme, là où le bât blesse, c’est que de plus en plus de gens traitent le domicile comme une marchandise, qui permettra un retour sur investissement, plutôt que comme un endroit où s'abriter et vivre. Et ce modèle ne bénéficie qu’à une poignée de privilégiés. Tous les trois estiment que le portrait actuel devient de plus en plus inquiétant.

Une profonde remise en question s’impose donc. Peut-être qu’elle commence par la reconnaissance du Gouvernement du Québec de la crise du logement afin de prendre des mesures qui s’imposent. Le FRAPRU estime qu’au moins 500 ménages étaient sans logis au 1er juillet 2021 dans la province.

Poursuivez votre lecture...
Politique fédérale
Nouvelle élection, nouvelle saison du Plancher des vaches!
Ricochet
20 août 2021
L'Afghanicide 2/3
La victoire des marchands de mort
Martin Forgues
26 août 2021
Au Liban, l'environnement sacrifié (1/3)
Désastre écologique dans le fleuve Litani et le lac Qaraoun
9 août 2021