Racisme systémique

S’émanciper de l’isolement

« Un enfant noir qui vit dans un territoire à forte concentration de population noire est deux fois plus susceptible d'être signalé à la protection de la jeunesse que les autres enfants, alors que s'il habite dans un territoire à faible concentration de population noires, il est dix foix plus susceptible d'être signalé que les autres enfants » (page 303 du rapport de la Commission Laurent).

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Rappelons encore, pour une énième fois, que le premier facteur de présence policière dans les villes canadiennes, selon le sociologue Jason Carmichael, n’est pas en lien avec le taux de crime, mais avec le nombre de personnes autochtones et non-blanches qui s’y trouvent. Il me semble qu’une réalisation profonde de ce fait devrait être reflétée dans les politiques, programmes et pratiques de nos institutions publiques et privées. Toutefois, afin de ne pas affecter les sensibilités des groupes dominants, on joue sur les mots.

Les peuples autochtones nous montrent l’exemple en amenant leurs narratifs à l’international, tout en usant des recours disponibles pour demander justice.

Les démarches légales dans le dossier de Joyce Echaquan :

  • Plaintes à la Sûreté du Québec
  • Plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse
  • Recours en dommages et intérêts contre l’hôpital de Joliette
  • Enquête publique
  • Réclamation au programme d’indemnisation des victimes d’actes criminels
  • Plainte à l’Ordre des infirmières du Québec

Pour ce qui est des communautés noires, tout est à faire. Il pourrait être intéressant que les volontés de lutte contre le racisme anti-noir passent aussi par une intervention fédérale différenciée envers les provinces en fonction des strates d’oppression que vivent, notamment, leurs populations noires. Au Québec, les ministres noir-e-s, quand il y en a, non-seulement peinent à dire le mot « systémique », mais fuient les questions des organisations de la société civile en lien avec les obstacles des groupes concernés, qui, certes, sont salués dans des termes angéliques pour leur contribution pendant la pandémie, mais se trouvent déshumanisés et contraints d’envisager de quitter le territoire pour l’accès à la résidence canadienne via le programme spécial en immigration du fédéral](https://www.intexto.ca/quitter-quebec-pour-avoir-la-residence-canadienne/).

Permettez moi de citer un extrait d’une chronique de Michel David « Le Prisonnier » publiée dans le Devoir le 10 octobre 2020 :

En 1988, trois ministres anglophones du cabinet Bourassa, Clifford Lincoln, Herbert Marx et Richard French, ont démissionné avec fracas simplement parce que M. Bourassa refusait de rétablir l’affichage bilingue dans les commerces, comme l’avait ordonné la Cour suprême. La communauté anglophone n’attendait pas moins d’eux. Il est vrai que Mme Girault (Bertrand) et M. Carmant (Taillon) ne représentent pas des circonscriptions où se concentre la communauté haïtienne, mais ils n’en sont pas moins ses porte-parole au sein du Conseil des ministres.

En juin 2020, Lionel Carmant, un des deux ministres noirs au gouvernement provincial, disait : « [Le terme "racisme systémique"] divise la population. On ne veut pas adopter cette terminologie-là. On gère trois réseaux où il y a une égalité dans les chances : l'éducation, les services de garde et le système de santé. Chacun a sa chance d'avoir un accès universel à ces systèmes-là. »

Donc, en réponse à Monsieur Carmant l’enjeu n’est pas juste dans les mots interdits ou qui divisent, c’est aussi dans les faux diagnostics qui en découlent.

Par exemple, au niveau du système éducatif, le Québec fait face à l’urgence d’intégrer les luttes historiques et contemporaines des communautés noires dans le cursus en les disséminant ces contenus avec empathie et en soutenant des réflexions visant à imaginer des moyens structurels pour répondre aux défis des communautés et de la société qui les entourent.

À Toronto, le taux de décrochage des élèves noirs est de 23%, comparativement à 12% pour les élèves blancs. J’ose croire que la situation au Québec n’est pas plus reluisante. Malheureusement, les chiffres ne sont pas disponibles malgré la hausse de cas médiatisés de racisme dans les salles et zoom d’école.

Même chose pour ce qui est du système de santé.

Si les noirs au Québec sont isolés politiquement au niveau provincial, de par l'absence de reconnaissance du racisme systémique, comment peut-on même espérer de solutions adaptées aux manifestations de besoins en santé mentale? Ce n’était qu’à quelques semaines de l’ouverture de l’enquête publique sur la mort de Joyce Echaquan, que le Collège des médecins du Québec (CMQ) a reconnu l’existence du racisme systémique dans le réseau de la santé de la province en signifiant son appui au principe de Joyce, dont le déni a aussi un impact sur les traitements reçus par des communautés racisées : pensons à la vidéo diffusée par Mireille Ndjomouo, une femme originaire du Cameroun, décédée dans les jours suivant sa dénonciation du traitement reçu à l’hôpital Charles-Lemoyne.

Pensons aux dix offres d’emploi pour femme blanche seulement au CISSS des Laurentides pour l’Hôpital de Saint-Eustache l’automne dernier? Des quarts assignés à une zone de l’hôpital sans COVID-19, dirigeant ainsi des travailleurs racisés vers la zone chaude de l’hôpital. Si, à Toronto, les personnes noires et les autres personnes de couleur représentent 83% des cas de COVID-19 signalés, quels sont les chiffres pour Montréal et les environs? Vu le refus provincial d'autoriser la collecte de données fondées sur la race en lien avec la propagation de la COVID-19, les chiffres ne sont pas disponibles. En triangulant, par contre, on comprend qu’étant fort représentées parmi le personnel offrant les services de première ligne médicale et les travailleurs essentiels, étant fortement présentes dans les quartiers densément peuplés et à logements exigus et étant très visibles parmi les populations à statut précaire, le coût de la présence des personnes noires dans le réseau de la santé devrait intéresser Lionel et son patron, François. Je dis son patron, car à mon sens, il a rompu avec cette dignité qu’ose incarner les personnes de conviction. Comme quoi, on peut mentir et rester sur le payroll.

Il est bien que l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (l’OIIQ) ait annoncé en grande pompe sa reconnaissance du racisme systémique envers les Premières Nations et Inuits.

Le même OIIQ, en réponse à une demande d’accès à l’information, disait, le 6 novembre 2020, ne pas détenir de répertoire ou de registre qui recense l’ensemble des dossiers disciplinaires ayant mené à une radiation ou une limitation du droit d’exercice d’un membre de l’OIIQ. Cependant, elle compilait des avis publiés depuis deux ans (2018 à 2020) à l’intention des membres de l’OIIQ (et non à l’intention du grand public) à la suite des radiations du Tableau, révocations de permis et suspensions ou limitations du droit d’exercice de la profession imposées par le Conseil de discipline

l’OIIQ ne détenait pas, en date du 6 novembre 2020, de document portant sur l’encadrement offert à ses membres afin de tenir compte du rapport de la Commission d'enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès, mais son Comité de la formation des infirmières comptait discuter lors de leur prochaine rencontre, de la question de l’inclusion, en collaboration avec les autorités autochtones, d’un volet sur les Premières Nations et les Inuits du Québec dans les parcours de formations collégiale et universitaire menant à une pratique professionnelle.

l’OIIQ ne détenait pas, en date du 6 novembre 2020 de documents relatifs aux « pratiques, politiques et processus ayant évolué dans l’organisation depuis la sortie du même rapport, mais informait qu’une formation portant sur le développement des compétences interculturelles était prévue pour les employés de l’OIIQ.

Que faudra t-il pour que l’OIIQ reconnaisse la globalité de son racisme systémique qui ne ménage pas, au passage, les communautés noires? L’OIIQ a-t-il le droit de contredire le Ministre Carmant? Les anecdotes qui circulent dans les communautés noires informent que le cas de Mireille Ndjomouo n’est pas isolé.

À cause du fait que les gens ne peuvent être accompagnés par un proche, dans trop de cas, on se dit que nul ne peut se permettre de rentrer à l’hôpital avec un téléphone cellulaire déchargé, s’il a le luxe d’en avoir un.

Faudra-t-il que des groupes déposent des plaintes individuelles ou concertées aux Nations Unies pour que cessent les abus vécus, tant du coté du personnel infirmier, fortement représenté par des personnes noires, qu’auprès des patient-e-s noir-e-s et racisé-e-s réclamant des soins de santé?

Au niveau de la protection de la jeunesse

Le 30 avril dernier, la présidente de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse (CSDEPJ), Régine Laurent, a déposé son rapport. Cela a eu lieu exactement deux ans après le décès, le 30 avril 2019, de la fillette de Granby, appelée affectueusement, Ti-Lilly, par la présidente de la Commission.

Ce rapport dira, à la grande surprise de certains, que les enfants noirs sont surreprésentés en protection de la jeunesse. Chantal Lavergne et Sarah Dufour, chercheuses à l'Institut universitaire Jeunes en difficulté (IUJD) et participantes aux travaux de la CSDEPJ, expliquent qu'à Montréal, les enfants noirs ne représentent qu'environ 15% de la population alors qu'ils constituent 30% des enfants dont le signalement à la protection de la jeunesse est retenu pour être évalué. (page 301.)

Une autre étude des professeurs Alicia Boatswaint-Kyte et Nico Trocmé révèle qu'en 2011, les signalements des enfants noirs étaient cinq fois plus susceptibles d'être retenus et leur dossier référé au tribunal que ceux des enfants blancs. Les enfants noirs étaient également cinq fois plus susceptibles que les enfants blancs d'être placés. Cinq fois plus.

La majeure partie des signalements proviennent du milieu scolaire. Rappelons-nous encore la voix de Lionel Carmant disant « On gère trois réseaux où il y a une égalité dans les chances : l'éducation, les services de garde et le système de santé. Chacun a sa chance d'avoir un accès universel à ces systèmes-là. »

Le rapport ira plus loin en disant que cette surreprésentation des Noirs n’a d’équivalent pour aucune autre communauté ethnoculturelle, selon les analyses présentées à la commission Laurent par le duo de chercheuses.

Alors pourquoi le rapport n'a-t-il aucune recommandation distincte pour corriger le tort de représentation des communautés noires?

En fait, les autres groupes ethnoculturels apparaissent même sous-représentés au sein du système de la protection de la jeunesse du Québec quant au pourcentage qu’ils occupent pourtant dans la population, ont observé les chercheuses. « Cela n’a rien à voir avec l’immigration », ont-elles bien précisé en entrevue au Devoir, en s’appuyant sur des données de recherche.

Elles révèlent également que les enfants noirs montréalais sont deux fois plus susceptibles que les autres enfants :

  • de faire l'objet d'un signalement retenu
  • d'être retirés de leur famille au cours de cette évaluation
  • d'avoir un signalement jugé fondé qui entraînera une intervention de la protection de la jeunesse dans leur vie.

Bout qui me casse en deux

Plus la population noire est en situation de minorité dans un territoire, plus les enfants noirs sont susceptibles de faire l'objet d'un signalement: « Ainsi, un enfant noir qui vit dans un territoire à forte concentration de population noire est deux fois plus susceptible d'être signalé à la protection de la jeunesse que les autres enfants, alros que s'il habite dans un territoire à faible concentration de population noires, il est dix foix plus susceptible d'être signalé que les autres enfants » (page 303 du rapport de la CSDEPJ).

C’est donc un catch-22. Si beaucoup de noirs vivent dans le même quartier, c’est perçu comme suspect. Une forme d’envahissement. Au pire, une gang, pour les individus et un ghetto, pour le territoire. À moins de porter le chandail de la même équipe sportive. Bref, être entre nous, ça parait mal pour certains et peut mener à ce qui est décrié, notamment à Repentigny.

Le tout sera perçu comme du communautarisme à combattre au nom de l’inclusion. On remet en question l’idée de communauté, en occultant la légitimité de la notion de sécurisation culturelle.

Mais le pire, au-delà d’être vu comme suspect, c’est être vu comme dangereux ou… défectueux. Cas de figure ou une personne noire vit dans un territoire à faible concentration de populations noires. Quand certaines personnes noires se dispersent en banlieues, croyant qu’elles seront affranchies de surveillance, elles peuvent parfois être surprises du traitement reçu, vu leurs profils socio-épidermiques. Avec un coup de chance, elles seront vues comme des personnes noires d’exception, méritant une pelouse aussi verte que les autres.

Hide yo kids and hide yo wife (hide yo self)

Avec un tel rapport, j'ignore comment l'infirmière à la retraite et ancienne présidente de la FIQ, commentatrice et ancienne présidente de la Commission spéciale sur les droits des enfants, Madame Régine Laurent, a eu le courage et l’énergie d’offrir publiquement la 2e dose de vaccin au Ministre Legault.... Cela faisait-il partie aussi de son mandat ou c’était du pro-bono? C’est un geste fort en termes de promotion de la campagne de vaccination, mais il me semble que le symbole ne s’arrête pas là…

Malgré les spécificités liées aux signalements des communautés noires, les conclusions du rapport manquent d'audace pour pallier aux torts leur étant causés. Avec la tutelle ou l’inféodation en cours, qui s’exprimera haut et fort dans l’intérêt des communautés noires du Québec?

Mon analyse : s’il y a un nombre démesuré d’interventions faites auprès d'enfants noirs, si des intervenant-e-s passent une bonne partie de leur temps à s’acharner sur les mauvaises cibles ou avec des interventions inadéquates, se pourrait-il alors que la DPJ ait une dette envers ces communautés? Alors que nous sommes dans la décennie internationale des personnes afrodescendantes décrétée par l’ONU, est-ce une question qui, si non traitée au plan national, doit être amenée à l’intention de l’international? Faudra-t-il un recours à l’ONU ou un recours collectif pour que cela cesse?

Avec tout ça, on peut se demander pourquoi le mot systémique est absent du rapport.

Sommes-nous sous tutelle au Québec? À quand des excuses gouvernementales vu la durée d’une dérive qui date d'au-delà de 1760 et de l’article 47 des articles de capitulation de Montréal?

Car la dérive est telle qu’elle est normalisée. Elle influe même sur la précision des recommandations du rapport, ainsi que sur la durée de l’expérience noire en sol québécois. C’est à croire que les vies noires ne sont pas des vies. Une fois adulte, si on s’est fait surveiller toute son enfance, en tant que personne noire, ne devient t-on pas quelqu’un qui se surveille à outrance? Ne continue t-on pas à se faire surveiller? Voyez-vous le lien avec le titre de l'œuvre de Robyn Maynard NoirEs sous surveillance (éditions Mémoire d’encrier)?

Cette surveillance ne génère-t-elle pas un legs d’anxiété?

État d’anxiété constant

Khan Bouba-Dalambaye, qui est diplômé de l’Université McGill en psychologie et détient près de 10 ans d'expérience à titre de conseiller d'orientation et de conseiller clinique au secondaire, qui a enseigné au cégep et est un expert de premier plan en matière de diversité, d'équité et d'inclusion écrivait, le 30 janvier 2021, que’« Alors que le monde entier est aux prises avec la pandémie, des études ont montré que les populations racialisées ont été les plus durement touchées. Au-delà de cela, les Noirs doivent également faire face à la menace toujours présente du racisme. Ils sont constamment bombardés d'images, de vidéos et de rapports sur le racisme anti-Noir, la brutalité policière et le meurtre de leur peuple. [...] Les hommes noirs vivent dans un état d'anxiété constant, basé sur la façon dont nous continuons d'être traités par la société. Le racisme direct et par procuration que vivent les hommes noirs est un traumatisme répété, perpétuant l'anxiété et le stress qu'ils ressentent. »

D’ailleurs l’histoire de Mamadi Camara, arrêté à tort l’hiver dernier et disculpé de tout soupçons après son incarcération, est un cas typique où une série d’actions posées contre un homme noir laissent de lourdes séquelles, non seulement sur sa personne, ses proches, mais aussi ses voisins, selon le document de cour transmis aux médias par ses avocats.

Donc, l’égalité des chances dont parle Lionel Carmant est un mythe occultant le fait que les Noirs ne sont pas encore vus comme des humains à part entière, mais révélant également que M. Carmant n’est pas un ministre à part entière, car il semble devoir occulter une partie importante de son identité dans ses prises de position.

Non seulement les personnes noires ont à porter la charge de leur émancipation individuelle et collective, mais elles doivent le faire sans déranger la majorité qui, elle, ne cède pas ses privilèges et négocie plutôt leur mutation sous des formes peu perceptibles, garantissant leur maintien.

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