Crise du logement

Ce que disent certain.es propriétaires derrière les portes closes

Les pratiques déloyales de certain.es propriétaires dévoilées au grand jour.
Photo: Boyan Lepoev

Il existe sur Facebook des groupes de discussion où des propriétaires de logements se rassemblent pour échanger de l’information et des conseils. On y discute de rénovations, d’hypothèque et bien sûr, de locataires. M. J. a infiltré ces groupes pour montrer à quel point il est aisé pour certain.es propriétaires de «conspirer et d'échanger des conseils illégaux».

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«Je crois que les personnes désavantagées ont le droit de savoir ce qui est dit à propos d’elles», explique cette résidente de Verdun. Elle a accepté de parler à Ricochet à condition que son nom ne soit pas mentionné, par crainte de représailles.

L’adoption d’un règlement limitant l’agrandissement et la subdivision de logements par l’arrondissement de Verdun a suscité beaucoup de débats dans les divers forums virtuels du quartier récemment. «J’étais très impliquée dans plusieurs groupes de la communauté», raconte M.J. «Les propriétaires ont créé un groupe privé sur Facebook pour discuter entre eux et elles. Je l’ai rejoint parce que je voulais savoir ce qu’il s’y disait». Elle s’est éventuellement fait exclure du groupe lorsque des captures d’écran de discussions ont été publiées à l'extérieur du groupe. Elle explique que ce sont «les choses horribles [qu’elle voyait] les gens dire sur les locataires» qui l’ont motivée à faire une veille des divers forums destinés aux propriétaires de logements montréalais.

«Ce qui m’a frappé », dit-elle, «c’est que les propriétaires partagent des conseils sur chaque étape du processus de location». Que ce soit pour rédiger son annonce de façon à attirer les «bons» locataires, des trucs pour filtrer ceux et celles qui répondent et les suggestions sur les enquêtes à mener pour faire la sélection.

«La question que je vois le plus souvent, c’est comment évincer un.e locataire qui n’a rien fait de mal», remarque M.J. L’augmentation du prix des loyers rend les locataires de longue date indésirables et les propriétaires pressé.es d'augmenter le loyer cherchent à s’en débarrasser.

Ce constat est partagé par Maxime Roy-Allard, porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ). Son organisme a noté une forte recrudescence des évictions cette année. Pour lui, ces groupes Facebook privés sont des plateformes d’échange de pratiques frauduleuses, voire illégales. Il rappelle le rapport d’enquête déposé en décembre dernier par le Comité logement de la Petite-Patrie qui montrait que 85 % des évictions pour rénovation étaient de nature frauduleuse.

Lisez aussi l'enquête de Sam Harper sur une mystérieuse «liste noire» de locataires sur le web

Pour louer, il n’y a pas de vie privée

«Il semble que la liste des choses demandées par les proprios augmente sans cesse», dit M.J. Dans les captures d’écran dont Ricochet a obtenu copie, plusieurs propriétaires suggèrent d’exiger le numéro d’assurance sociale, en prenant bien soin d’expliquer qu’il ne faut pas dire que c’est obligatoire, mais que cela permet de filtrer ceux qui refusent.

On voit plusieurs propriétaires relater qu’ils exigent une enquête qui va plus loin qu’une simple vérification du dossier de crédit. Certains ne se cachent pas pour dire qu’ils vont aussi voir ce qui est partagé par les aspirants locataires sur les médias sociaux.

La firme Oligny & Thibodeau est mentionnée à quelques reprises. Celle-ci offre deux types d’enquêtes de prélocation. La formule Express inclut le dossier de crédit, la recherche des antécédents judiciaires et la recherche de jugements au Tribunal administratif du logement (TAL, anciennement appelé la Régie du Logement). Pour un supplément, on peut également obtenir des informations provenant du propriétaire actuel et passé, ainsi qu’une suggestion sur le profil du locataire provenant d’un analyste et le calcul du revenu minimum nécessaire pour payer le montant du loyer.

Rejoint au téléphone, M. Olivier Oligny confirme que «le nombre d’enquêtes est en constante augmentation». L’an dernier, l’entreprise a effectué 30 000 enquêtes. «Nous avons une trentaine d’employés qui font des appels du matin au soir», ajoute-t-il.

Pour certains propriétaires, la présence d’un dossier au TAL, peu importe la raison, semble suffisante pour exclure un potentiel locataire.

Selon la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJ), ces pratiques sont discriminatoires. Les antécédents judiciaires relèvent du droit à la vie privée. Les détails sur l’emploi, le salaire, le solde bancaire, le NAS ou le numéro de permis de conduire sont toutes des informations que les propriétaires ne peuvent exiger.

Ce document de la CDPDJ ne fait pas l’unanimité chez les propriétaires. Comme l’a exprimé un membre : «Généralement ceux qui refusent de donner 80 % des éléments faussement identifiés comme “discriminatoire” ci-haut sont les candidats dont tu ne veux pas de toute façon».

Dans un autre fil de discussion, on affirme que «de bons locataires, ce sont des locataires qui ne font pas valoir leur droit (sic)». Questionné sur le potentiel discriminatoire d’inclure la recherche d’antécédents judiciaires dans les enquêtes de prélocation, M. Oligny répond que «le plumitif est public et tout le monde peut le consulter». Son entreprise ne fait aucune enquête sans l’autorisation écrite de l’aspirant locataire.

Liste noire et représailles

Certains propriétaires utilisent ces groupes pour partager des noms de locataires indésirables à éviter. Ils justifient ces listes par le fait qu’«entre proprios il faut s’aider». Un individu annonce le projet de créer une liste Excel de «locataires non merci» et se fait offrir plusieurs noms à ajouter à son document.

Dans un groupe, un membre affiche le profil Facebook d’un individu ayant eu l’audace d’annoncer dans un groupe de discussion de locataires qu’il s’apprêtait à demander une révision de loyer une fois son bail signé. Le membre du groupe exhorte les autres à signaler le compte Facebook comme étant «un Fake Name ou Faux profil pour le faire bloquer».

La CORPIQ permet de faire inscrire un jugement pour non-paiement de loyer au dossier de crédit. Un membre se réjouit de ce service gratuit, car «la moindre des choses qu’on peut faire c’est d’au moins scraper le dossier de crédit de notre mauvais payeur.»

Lorsqu’un propriétaire se désole que des locataires aient apposé des affiches dénonçant les rénovictions dans sa bâtisse, on lui suggère de les amener au TAL pour interdiction d’afficher. L’individu ajoute que «s’ils sont vraiment évincés plus tard, ce sera difficile de trouver un logement avec un dossier au TAL.»

La discrimination subtile

Au-delà des enquêtes, on trouve aussi dans ces groupes des conseils pour être en mesure de faire de la discrimination sans en avoir l’air. D’après certains propriétaires, «certaines personnes communistes s’amusent à faire des fausses candidatures pour poursuivre des gens pour discrimination par la suite».

Un propriétaire suggère de «[faire] attention avec tes questions, pour ne pas faire de DISCRIMINATION. Au lieu de demander “Avez-vous des enfants ?”, demandez “Qui vivra dans le logement ?” Même chose pour les emplois et revenus.»

Une autre propriétaire habitant Montréal-Nord, mais «pas un coin épeurant de Montréal-Nord», se questionne sur les rénovations à faire pour «éviter le plus possible la clientèle familiale». Elle prévoit donc retirer une chambre et remplacer le bain par une douche, car «on essais [sic] d’éviter les familles qui piocheraient sur notre tête. Il en va ainsi de notre qualité de vie».

Objectif : hausse de loyer

Certains propriétaires ne trouvent pas souhaitable d’avoir des locataires à long terme. Une publication nous apprend que «la vaste majorité des augmentations légales qui dépassent de beaucoup le calcul établi par la loi sont réalisées entre deux locataires. Donc un investisseur avisé va souhaiter des locataires qui restent peu».

Lorsque un membre se questionne s’il doit augmenter le loyer chaque année, un autre lui répond que «si je ne veux pas augmenter, j’augmente pareil et je repaye à mes locataires. Genre loyer à 900 $. J’augmente à 1000 $ mais redonne 120 $». Ce stratagème, Maxime Roy-Allard l’observe souvent. «Un bail est un contrat privé, ce n’est donc pas illégal en soi. C’est une zone grise», explique-t-il. Advenant une contestation, un juge aurait à trancher afin de déterminer si le prix du loyer est ce qui a été payé réellement ou ce qui est inscrit sur le bail.

Ailleurs, on suggère de «[faire] signer un bail au locataire actuel, bail qui couvre la dernière année au montant mensuel que vous voulez… ce sera très difficile à contester». Le problème avec ce conseil, c’est qu’il s’agit d’un acte illégal. «C’est de la falsification de document», ajoute le porte-parole du RCLALQ.

Une autre solution créative est de faire signer un bail au nouveau locataire avec l’ancien coût indiqué. Comme un locataire n’a que dix jours suivant la signature du bail pour contester une augmentation jugée abusive, on lui remet le document qu’une fois ce délai écoulé. M. Roy-Allard explique que dans cette situation, un locataire peut techniquement ouvrir un dossier au TAL, mais que peu de gens vont choisir de le faire. La solution souvent privilégiée est de laisser un logement vide durant 12 mois, permettant ainsi d’augmenter le loyer à sa guise.

Afin de pallier le manque d’information sur les loyers, un registre citoyen a été lancé sur Internet. Il n’est pas passé inaperçu auprès des membres de ces groupes. Un individu suggère d’aller voir le prix indiqué pour ses logements sur le site, car il les aurait tous inscrits à 2000$/ mois. Un autre ajoute qu’«avant de mettre vos logements à louer, allez sur ce site et mettez le prix voulu -10/20 $. Le tour est joué.»

Un dépôt n’est pas vraiment un dépôt

Selon le Code civil du Québec, un propriétaire ne peut exiger un dépôt. Dans ce cas aussi, des solutions créatives sont proposées pour contourner la loi. «C’est pas légal un dépôt sur le loyer. Par contre dans mon cas […] j'en demande entre les lignes. […] Les dépôt son pas sur le loyer, mais les à coter [sic]», comme la location d’une place de stationnement ou un dépôt sur les électroménagers. Une autre suggestion est d’inscrire le dépôt au bail «et bien stipulé que ces le locataire qui propose le dépôt et non le propriétaire qui le demande» [sic].

Aidez-moi à évincer

Se débarrasser de locataires indésirables est un sujet récurrent. Une propriétaire parle d’une «pauvre madame. Elle était là quand on a acheté le triplex il y a 4 ans. On essaie de s’en débarrasser depuis.»

D’autres exemples de questions abordées sont le délai minimum qu’un membre de la famille doit habiter le logement dans le cas d’une reprise ou le montant minimal de la rénovation nécessaire pour évincer quelqu’un.

Un aspirant propriétaire aborde l’achat d’un triplex qui contient un locataire qui a refusé les dernières augmentations de loyer. «Rénovation majeur» [sic] lui suggère-t-on. Une autre option, «c’est le temps de devenir proprio occupant ou de loger ta maman ou ta fille».

Parfois, les commentaires sont plus philosophiques. «Choisir entre un bon payeur ou le risque d’un mauvais payeur au prix souhaité! Je vis ça aussi, je pense l’évincer mais le risque d’un mauvais payeur me freine».

M. J. espère montrer comment les propriétaires utilisent le système contre les locataires et ce que ces derniers peuvent faire pour se défendre. «Ils s’entraident et partagent de l’information, alors que leurs locataires se retrouvent souvent seuls face à cela».

Des groupes pas toujours homogènes

M.J. dit suivre actuellement six groupes privés de propriétaires sur Facebook en plus d’aller voir certains groupes publics à l’occasion. Le groupe privé principal de propriétaires montréalais compte presque 8000 membres. D’autres groupes pour lesquels nous avons pu consulter des captures d’écran comptent respectivement 800 et 1200 membres.

Ricochet a contacté les administrateurs du groupe principal par la messagerie de Facebook. Une administratrice a répondu qu’elle «ne cautionne pas du tout ces pratiques et ces conseils... je passe mon temps à les supprimer dès qu'ils me sont signalés». Selon elle, «les stratégies d’éviction des locataires sont mal reçues et le groupe s’autorégule la plupart du temps». Cette autorégulation aurait eu pour effet que «plusieurs personnes ont même quitté ce groupe pour en créer d'autres, nous accusant d'être toujours du côté des locataires et de trop les défendre».

Ricochet a pu constater cette tension dans certaines captures d’écran partagées. Un administrateur d’un autre groupe suggère à une personne qui ose critiquer «le propriétaire qui essaye de trouver des façons illégales de refiler la facture aux locataires» de joindre «un groupe de proprios de gauche». Il ajoute que «si une personne ne fit pas dans la vision du groupe, on ne la laissera pas contaminer le groupe comme on voit ailleurs».

Pour le RCLALQ, la solution passe par un registre officiel des loyers avec un contrôle obligatoire de ceux-ci. «Il faut aussi resserrer le Code civil pour rendre plus difficiles les rénovictions» ajoute Maxime Roy-Allard. «La hausse des loyers est ce qui alimente les évictions, un registre aidera justement à les freiner.»

Il n’y a actuellement aucun suivi pour voir si les rénovations sont effectuées. «Cela va prendre des pénalités plus sévères lorsqu’il s’agit de procédés frauduleux», car selon le porte-parole, il n’y a actuellement rien qui décourage les propriétaires qui agissent illégalement de continuer à le faire.

En juillet dernier, le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU) annonçait que 500 ménages étaient toujours à la recherche d’un logement lors de son bilan annuel de la journée des déménagements.

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