La capitale libanaise étouffe sous un voile de polluants qui met la santé de ses 2,4 millions d’habitants à risque. Bien que le pays en entier subisse les effets de la pollution atmosphérique, Beyrouth affiche un taux inquiétant de particules néfastes dans l’air provenant du trafic routier et des générateurs au diesel, surtout depuis le début de la crise économique en 2019.
Un rapport de Greenpeace publié en juin 2020 sonne l’alarme : le Liban a le taux le plus élevé de mort prématurée causée par la pollution de l’air générée par les énergies fossiles (PM2.5, NO2 ou ozone) dans tout le Moyen-Orient. Suivent l’Égypte et la Syrie. En 2018, le nombre de décès s’élevait à 2 700 personnes sur environ 6,8 millions.
On associe aussi ces polluants aux problèmes cardiovasculaires, à la maladie pulmonaire obstructive chronique et au cancer du poumon. À Beyrouth, le taux de PM2.5 dans l’air (les fameuses particules fines, dont le diamètre est inférieur à 2,5 microns) avant 2017 oscillait autour de 25 μg/m3 annuellement et a poursuivi sa hausse jusqu’à atteindre 32 μg/m3 à 35 μg/m3 annuellement. C’est plus de trois fois la recommandation de l’Organisation mondiale de la santé qui met la barre à 10 μg/m3.
Trafic et files d’attente aux stations d’essence
L’un des principaux coupables de cette pollution est le trafic routier. Et ceux qui vivent à Beyrouth le savent : les embouteillages peuvent être exaspérants. En l’absence de transport alternatif comme le train ou le métro, les habitants se voient forcés de se déplacer en voiture, en autobus ou en minivan collectif. « Que se passe-t-il quand on a des embouteillages sur une route étroite entre de hauts immeubles? Il y a un recyclage de la pollution de l'air. Ça va tourner, ça va rester ici et ça ne va pas partir », explique Céline Chémali, leader de l’équipe scientifique du club USJ Verte de l’Université Saint-Joseph. Elle fait référence au phénomène de rues « canyon ».

A Beyrouth, les voitures ont en moyenne 19 ans, et émettent une grande quantité de particules dans l’air, ajoute Najat Aoun Saliba, professeure à l’Université américaine de Beyrouth en chimie atmosphérique. « Lorsque les moteurs sont fatigués et vieux, la combustion est inefficace et cela émet une fumée noire qui est dangereuse et cancérogène ».
Comme si cela ne suffisait pas, la crise économique a créé un nouveau problème, celui des files d’attente interminables aux stations d’essence en raison de la pénurie de carburant dans le pays, qui s’aggrave de jour en jour. En plus de miner le moral des Libanais, contraints de patienter durant des heures pour un demi plein — s’ils réussissent à l’obtenir, ces files produisent une quantité importante d’émissions de particules dans l’air.

Générateurs toxiques
Malgré un investissement de plus de 40 milliards de dollars depuis la fin de la guerre civile en 1990, le réseau de la compagnie nationale d’électricité, Électricité du Liban (EDL), bat de l’aile. Avant 2019 les Libanais devaient vivre avec des coupures d’électricité quotidiennes de 3 à 12 heures. Pour compenser les privations de courant, un marché (illégal mais toléré) de générateurs privés fonctionnant au diesel s’est mis en place.

Or, depuis le début de la crise économique, EDL est de moins en moins apte à fournir les habitations, les commerces, et même les hôpitaux en électricité, notamment parce que le gouvernement n’arrive plus à financer le carburant en dollars. Résultat? Les coupures d’électricité peuvent durer maintenant 20 heures, parfois 24 heures par jour. Avoir un générateur qui fonctionne presque toute la journée est donc devenu la norme. « Ces générateurs ne sont pas conçus pour fournir de l’électricité pendant 24 heures. Ils sont conçus pour être une solution de rechange lors des coupures de courant », rappelle Najat Aoun Saliba.
La chimiste, qui occupe un appartement à Beyrouth, déplore l’utilisation démesurée de ces engins que l’on retrouve maintenant sur un édifice sur deux.
Les résidus de la double explosion
En tant que telle, la tragédie du 4 août 2020, lorsque 2700 tonnes de nitrate d’ammonium dangereusement stockées dans le port de Beyrouth ont explosé, n’a pas créé d’émissions de dioxyde d’azote (NO2) ; elle a plutôt dissipé les particules et les gaz, explique Najat Aoun Saliba. C’est surtout la destruction et la reconstruction (donc la démolition des vieux bâtiments affectés) qui ont causé des torts à l’environnement. Tout cela crée une poussière toxique dans l’air, constamment balayée par les vents, le mouvement des voitures et des habitants.

La quantité de déchets produite par l’explosion s’élève entre 100 000 et 800 000 tonnes selon le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Comme le Liban ne dispose pas d’installations de stockage ou de traitement des produits dangereux, ces déchets peuvent nuire à la santé de la population si cette dernière y est exposée, et peuvent contaminer le sol et l’eau, lit-on sur le site Web des Nations Unis.
Dirigeants corrompus
En l’absence d’actions de la part du non gouvernement (pour rappel, aucun gouvernement n’a été formé depuis un an*), une partie de la population se mobilise pour protéger l’environnement du Liban. « Nous n’avons aucune idée du trésor que nous avons ici », se désole Céline Chémali. Lors de l’hécatombe de carpes au lac Qaraoun en avril dernier, elle a participé à l’effort afin d’en analyser les causes. « J’ai un master en environnement, je ne suis pas censée travailler en tant que volontaire pour faire le travail du gouvernement », s’indigne-t-elle. « Au Liban, ce qui est positif c’est qu’on trouve des solutions à nos problèmes. On n’a pas de gouvernement, mais on se débrouille. On n’a pas d’électricité alors on a mis des générateurs. On n’a pas d’eau alors on achète des citernes.» Mais le revers de la médaille, regrette-t-elle, c’est que la population finit par s’habituer. « Personne ne se révolte, personne ne parle de ce problème. Ça va, on vit avec ».
« J’ai honte de parler de tous les problèmes de mon pays et je m’excuse auprès de la communauté internationale au nom des personnes inefficaces et corrompues qui nous ont conduit à cette situation », affirme pour sa part Najat Aoun Saliba, le regard franc. Elle déplore les centaines de millions de dollars d’aide internationale qui ont été utilisés à mauvais escient par ces dirigeants. À ce chapitre, elle mentionne les fonds qui ont été alloués à la dépollution du fleuve Litani et à des réformes en électricité. « Pour chaque million de dollars, vous obtenez un million de rapports. Mais ça ne veut rien dire ».

*La formation d’un gouvernement a finalement été annoncée le 10 septembre 2021, après 13 mois de négociations.
Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international.