Six mois après le quatrième anniversaire de l’aventure militaire canadienne en Libye, le gouvernement canadien s’est jusqu’à maintenant abstenu de commémorer officiellement l’Opération Mobile, contribution du Canada à la campagne de l’OTAN visant à déloger le président Mouammar Kadhafi du pouvoir dans la foulée du Printemps arabe.
Les archives parlementaires ne mentionnent que 46 interventions à propos de cette mission depuis le mois de mars 2015, dont 33 dans le cadre de débats à la Chambre des communes, le reste ayant eu lieu au cours de réunions de comités parlementaires. De ce nombre, seulement huit proviennent de députés conservateurs.
Le premier ministre ne s’est pas exprimé sur la question depuis le début de l’année en cours, sa plus récente intervention sur le sujet remontant au 25 avril 2012, soit six mois après la fin de la mission. La dernière mention de la situation en Libye par un député conservateur revient à Royal Galipeau, de la circonscription d’Ottawa-Orléans, en Ontario, qui a déclaré le 29 juin dernier que «la branche libyenne de l’État islamique s’est livrée à un autre kidnapping, ciblant 88 chrétiens érythréens». Le 26 mars, le député Bernard Trottier, également secrétaire parlementaire du ministre des Affaires étrangères, s’inquiétait aussi de l’émergence du groupe armé en sol libyen. «Au cours des derniers mois, nous avons remarqué que des groupes affiliés à l’État islamique en Égypte et en Libye, et plus récemment Boko Haram, un groupe dont la violence était inégalée avant l’arrivée de l’État islamique, ont déclaré leur allégeance à ce groupe», avait-il dit. Au cours d’une réunion du comité parlementaire de son département, le ministre de la Défense nationale Jason Kenney avait quant à lui également évoqué l’affiliation de groupes terroristes libyens à l’État islamique.
Le mutisme général sur cette question a laissé le plancher à l’opposition, qui a maintes fois critiqué le bien-fondé de cette mission, considérant l’embrasement du pays, la dégradation de la sécurité des populations civiles et l’émergence d’une faction libyenne du groupe armé État islamique. Au cours d’un débat sur l’actuelle mission canadienne en Irak, le député néo-démocrate Jack Harris, critique de l’opposition officielle en matière de défense, a interrogé le gouvernement à propos de la nature de cette mission, demandant si «nous n’avions rien appris de l’Afghanistan et de la Libye. Aucune des deux missions ne peut être qualifiée de succès». La députée Hélène Laverdière avait quant à elle rappelé en mars 2015 que «la mission canadienne en Libye a coûté six fois le montant initialement estimé». Le chef de l’opposition Thomas Mulcair a de son côté carrément qualifié l’Opération Mobile d’échec. «Demandez aux Américains comment les choses se sont passées à Benghazi.
Maintenant, des années plus tard, considérant les événements qui se sont déroulés en Libye, nous voyons que nous avions raison [de nous interroger sur l’objectif de la mission en Libye visant à favoriser un changement de régime]», a-t-il déclaré le 24 mars 2015.
Entre les mois de mars et novembre 2011, l’Opération Mobile en Libye a mobilisé 14 avions, dont 6 chasseurs CF-18, 2 navires de guerre et un nombre indéterminé de soldats d’élite des forces spéciales. Selon un rapport du ministère de la Défense nationale, le coût total de la mission a franchi le cap des 374 millions de dollars.
Réaction en chaîne
Le gouvernement Harper ne manque pourtant jamais de souligner l’anniversaire des nombreuses campagnes militaires menées par les troupes canadiennes au cours de l’histoire. Il arrive même à faire d’une escarmouche, telle la guerre de 1812, un événement digne d’une grande épopée patriotique. Il est donc surprenant de constater le silence total des troupes de Stephen Harper relativement au quatrième anniversaire de l’Opération Mobile. Le Canada avait envoyé ses avions, ses navires et des soldats de la très secrète Force opérationnelle interarmées 2 pour aider les groupes rebelles libyens à renverser le régime de Mouammar Kadhafi.
Depuis la chute du dictateur et sa brutale exécution diffusée massivement sur les réseaux sociaux, la situation n’a cessé de se dégrader dans le pays d’Afrique du Nord, et le soudain changement de régime a provoqué une réaction en chaîne dont les soubresauts se sont fait sentir au-delà de ses frontières. En janvier 2012, des indépendantistes touaregs se sont emparés d’une partie de l’arsenal libyen laissé disponible et ont déclenché une révolution dans le nord du Mali afin de s’emparer d’un large territoire qu’ils ont par la suite perdu aux mains de groupes jihadistes, provoquant une importante crise. En février 2013, le Canada envoyait un avion militaire de transport C-117 et des soldats des forces spéciales afin de porter assistance aux forces françaises et maliennes qui combattaient les jihadistes et pour protéger l’ambassade canadienne à Bamako.
Rappelons qu’alors que la campagne électorale fédérale bat son plein et que le scrutin du 19 octobre approche à grands pas, les questions de sécurité nationale et de lutte au terrorisme reviennent constamment au cœur des débats. La mission des Forces armées canadiennes en Irak se poursuit et, devant la catastrophe humanitaire provoquée par la débâcle guerrière en Syrie et en Irak, le gouvernement conservateur vend encore la guerre contre le groupe État islamique comme solution pour aider les réfugiés syriens qui fuient actuellement la guerre.