Une semaine jour pour jour après la nomination du nouveau cabinet ministériel, les promesses de rétablir les services aux anciens combattants qui ont fait les frais de l’austérité conservatrice font la manchette, alors que l’encre sèche à peine sur les parchemins d’assermentation. Malgré ces belles paroles, une seule mesure peut rétablir l’équilibre et redonner leur dignité aux hommes et aux femmes qui, à défaut d’avoir payé le sacrifice ultime, vivent aujourd’hui avec le fardeau d’avoir survécu à leurs blessures.
Le gouvernement de Justin Trudeau devra rétablir l’ancienne Charte des anciens combattants, modifiée par les libéraux de Paul Martin et remplacée par une autre, davantage guidée par des impératifs financiers que par un souci de dignité pour les vétérans.
Une dette morale à honorer
Rappelons qu’en 2005, le gouvernement canadien déployait un contingent des Forces armées canadiennes, alors basé à Kaboul depuis 2003, dans la région de Kandahar, province afghane où les combats les plus violents faisaient rage. Étrange coïncidence, on modifiait en même temps les modalités de prestation des services aux militaires blessés au combat, abolissant ainsi la pension à vie pour la remplacer par une somme forfaitaire – une mesure tributaire des habitudes de «rigueur budgétaire» du gouvernement Martin, plus préoccupé par l’atteinte du déficit zéro que par la dette morale contractée par l’État envers les militaires.
On le devine, les bonzes du gouvernement et les hauts fonctionnaires d’Anciens Combattants Canada avaient anticipé les coûts liés à la hausse drastique du nombre de soldats blessés, si bien qu’un rond-de-cuir avait déjà affirmé à Pat Stogran, ancien officier décoré et ombudsman des anciens combattants de 2007 à 2010, qu’il était plus commode pour le ministère que les militaires reviennent entre quatre planches.
Lors de la campagne électorale de 2006, les conservateurs de Stephen Harper avaient promis de rétablir l’ancienne charte. Il n'en fut rien – le statut minoritaire du gouvernement justifiait l’impasse. Et à la suite de l’obtention de la majorité parlementaire? Rien. Trop cher. Le gouvernement Harper s’est depuis lancé dans une vaste entreprise de sape des services aux vétérans. C’est ainsi que le gouvernement qui s’affichait comme le grand défenseur de l’intérêt des troupes trahissait sa vraie nature et, par le fait même, la dette d’honneur de l’État envers elles. Une organisation de vétérans basée dans l’Ouest canadien a entamé un recours collectif contre le gouvernement Harper afin de le forcer à rétablir l’ancienne charte. La réponse des avocats de la partie défenderesse: le gouvernement ne doit rien aux troupes.
Juste avant le déclenchement des élections de 2015, on estimait qu’une demande d’indemnité sur quatre était refusée. Parallèlement, une vague de suicides sans précédent décimait les rangs de l’armée canadienne. Une enquête du Globe and Mail publiée à la fin du mois d’octobre dernier recensait entre 54 et 59 suicides de militaires actifs. Impossible de déterminer le nombre de vétérans qui ont mis fin à leurs jours, aucune donnée n’est disponible.
De véritables écuries d’Augias pour le ministre Kent Hehr, qui vient d’hériter du portefeuille d’Anciens Combattants Canada.
Se souvenir pour agir
Aujourd’hui, des milliers de Canadiens se rassembleront, coquelicot sur la poitrine, pour l’annuelle cérémonie du jour du Souvenir. La scène se répète chaque année. Il y a 97 ans, les canons se taisaient sur les grands champs de bataille d’Europe, et les vestiges des grands empires de jadis étaient enterrés sous les millions de cadavres tombés au milieu d’immenses étendues où la verdure avait laissé place, au fil des combats, à la boue sanguinolente qui remplissait tranchées et cratères d’artillerie. Ainsi prenait fin la Première Guerre mondiale, celle qui devait être la dernière, ce conflit dont la commémoration donna naissance à la tradition du jour du Souvenir.
Dans son poème «Au champ d’honneur», John McCrae parle de ces coquelicots «parsemés de lot en lot auprès des croix». Une image fort éloquente qui nous rappelle la nécessité de joindre les actes aux paroles et d’exercer notre devoir de mémoire envers les horreurs de la guerre, mais aussi de rappeler au gouvernement ses obligations envers ceux et celles envoyés à la guerre et qui reviendront, immanquablement, transformés et, pour trop d’entre eux, scarifiés.
Pour paraphraser Bernie Sanders, actuel candidat à l’investiture démocrate de la présidentielle américaine de 2016, si le gouvernement ne peut ou ne veut prendre soin de ses combattants de retour de la guerre, celle-ci devient encore plus immorale.