Leur violence politique et nos politiques de la violence

Photo: Jean-François Gornet

Nos responsables politiques, soutenus par les médias de masse et des « experts » ès djihadisme, imposent présentement deux termes, « terrorisme » et « radicalisme », comme prisme dominant censé permettre la compréhension de la violence politique dite djihadiste et l’identification des mesures nécessaires pour la mettre en échec.

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Ces mesures sont forcément militaro-policières pour l’essentiel. À l’étranger d’abord, outre l’appui indéfectible apporté à des régimes répressifs en terre d’Islam, diverses interventions armées sont menées de manière quasi permanente depuis au moins deux décennies. Au plan interne ensuite, les enquêtes policières, les poursuites judiciaires, les emprisonnements et les déportations sont également devenus monnaie courante parmi les musulmans suspectés d’appartenir au courant djihadiste.

Parallèlement à ces mesures, les États occidentaux, incluant le Canada et le Québec, déploient également depuis peu une action dite préventive sous forme de programmes de contre\dé-radicalisation dont l’introduction est principalement justifiée au nom d’une expertise universitaire sur les « processus de radicalisation menant à la violence ». Processus qui expliqueraient donc l’engagement djihadiste surtout chez les jeunes de confession musulmane nés et socialisés en Occident.

Cette expertise sur « la radicalisation menant au djihadisme » est assurément complexe. Elle revient néanmoins à un schème explicatif assez simple, qui considère la radicalisation du jeune occidental de confession musulmane comme le résultat d’un endoctrinement à une théologie musulmane salafiste intrinsèquement violente qui adviendrait, généralement, à la suite de troubles personnels ou familiaux, ou à l’occasion de ruptures sociales, qui fragilisent le jeune et suscitent en lui une quête de sens à laquelle répond dangereusement le récit djihadiste. L’étape ultime de ce processus étant bien évidemment le passage à l’acte violent.

À partir de là, la mission des programmes de contre/dé-radicalisation semble aller de soi : apprendre aux candidats djihadistes à se prendre en charge de manière globale. C’est-à-dire en leur enseignant, sur le plan intellectuel, comment penser de manière « critique » et, sur le plan émotif, comment gérer leurs émotions de manière « constructive ».

Ce schème explicatif réduit ainsi clairement la violence djihadiste à une instrumentalisation religieuse d’un ensemble d’injustices personnelles ou sociales, locales ou internationales, réelles ou fabulées, ressenties par des jeunes en désœuvrement spirituel et/ou identitaire. À partir de là, la mission des programmes de contre/dé-radicalisation semble aller de soi : apprendre aux candidats djihadistes à se prendre en charge de manière globale. C’est-à-dire en leur enseignant, sur le plan intellectuel, comment penser de manière « critique » et, sur le plan émotif, comment gérer leurs émotions de manière « constructive ». Pour ce faire, on leur offrira, en sus, un accompagnement (« coaching ») dit « psychosocial » et des espaces dits « sécuritaires ». On les aidera ainsi, comme on dit en psychanalyse, à défouler leurs frustrations en toute sécurité. Même s’il est peu clair de la sécurité de qui il s’agit réellement: celle du jeune critique ou celle du système qu’il critique?

La caractéristique fondamentale de ce schème saute donc aux yeux : la dépolitisation de l’engagement djihadiste. Bien sûr, reconnaître que nos jeunes vivent des difficultés personnelles et sociales, notamment parce qu’ils ont grandi dans le contexte islamophobe qui est le nôtre, est un discours tout ce qu’il y a de politique. Il en est de même lorsqu’on rappelle que leur ressentiment est dû en grande partie aux atrocités qui frappent leurs lointains coreligionnaires dans l’indifférence totale, voire la complicité de nos dirigeants d’ici. Enfin, c’est également tenir un discours politique que d’appeler la société en général à assumer sa responsabilité envers ces jeunes en les aidant à mieux penser leur engagement politique.

Par contre, la dépolitisation se constate dans ces programmes de contre/dé-radicalisation quand ils suggèrent que notre problème, aujourd’hui, c’est principalement l’engagement djihadiste et non pas les politiques de la violence qui le produisent. Certes, cet engagement est une violence politique illégitime de par les moyens immoraux qu’il s’autorise. Mais il n’est pas que cela. C’est aussi une contestation légitime d’un ordre international néocolonial de plus en plus sanguinaire. En jetant le voile sur les politiques ouvertement ou sournoisement violentes de ce système, les programmes de contre/dé-radicalisation deviennent un dangereux placebo qui nous empêche de chercher un véritable remède au danger du djihadisme.

Certes, cet engagement est une violence politique illégitime de par les moyens immoraux qu’il s’autorise. Mais il n’est pas que cela. C’est aussi une contestation légitime d’un ordre international néocolonial de plus en plus sanguinaire.

Ces programmes sont également dépolitisants dans la mesure où ils proposent à nos jeunes des alternatives factices à l’engagement violent. Ils prétendent ainsi « éduquer » ces jeunes, dans des lieux « sécurisés », à l’esprit « critique » et à « la gestion constructive » des émotions. Mais, dans les faits, après que des « accompagnateurs » les aient convaincus qu’ils sont endoctrinés, on veut leur apprendre à bien critiquer, c’est-à-dire à rendre leur critique acceptable au système qu’ils réprouvent et pour autant qu’ils l’expriment entre deux murs. On désarme ainsi leur critique en leur imposant des limites à la fois psychologiques, politiques et spatiales. À la place de la radicalisation et au risque de la violence auquel elle pourrait mener, on leur offre l’option d’une critique tempérée, aseptisée, une critique-défoulement avec comme seul horizon le statu quo quant à l’ordre politique contesté et un changement au niveau… personnel.

sans mettre fin aux politiques de la violence organisée de ce système, on ne pourra jamais éradiquer la violence politique anarchique de ses victimes.

Je demeure conscient que mon propos revient à soutenir que nous n’avons pas de véritable solution au problème du djihadisme. Car, en effet, nous savons d’un côté que ce n’est pas demain la veille que le système postcolonial disparaisse. Cependant, d’un autre côté, il nous faut bien l’admettre : sans mettre fin aux politiques de la violence organisée de ce système, on ne pourra jamais éradiquer la violence politique anarchique de ses victimes. En tout cas, certainement pas avec des placebos faussement altruistes qui sont, à bien y penser, la continuation de « la guerre (au terrorisme) » avec d’autres moyens. Mais c’est déjà là une autre question. Peut-être…

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