L’actualité a été remplie de nouvelles à propos de la rémunération des médecins. Le rapport de la Vérificatrice générale soulevant des dépassements de plusieurs centaines de millions de dollars en paiements d’honoraires pour les médecins a alimenté la tornade médiatique et incité les journalistes à décortiquer les montants ainsi facturés par nos bons docteurs.
La hausse de la rémunération des médecins
À tel point que ceux-ci, par la voie de leur fédération respective, se sont vus obligés de se défendre en répétant que ces honoraires ont été réclamés pour du travail fait et des services rendus. S’il est vrai que les facturations ne relèvent pas de l’illégalité, certaines frôlent quand même l’immoralité.
À l’émission « Les coulisses du pouvoir » à Radio-Canada, à la question s’il reverrait un jour la rémunération des médecins, le ministre Barrette répondit : « On l’a fait! Avec la loi 20, on a revu la rémunération des médecins : ils auront des quotas de patients à atteindre et s’ils ne les atteignent pas, ils verront leur rémunération baisser de 30%. » Ce n’était évidemment pas de cela qu’il s’agissait, et il le savait.
Mais sa réponse montre qu’il devient de plus en plus évident que la rémunération des médecins est non seulement une question de finances publiques, mais qu’elle est aussi liée au type de services sociaux et de santé que nous voulons dans notre société.
Les services dont nous avons besoin
Nous l’avons dit depuis longtemps, les services dont nous avons le plus besoin sont des services de première ligne, c’est-à-dire des services généraux et des soins courants, accomplis par une équipe multidisciplinaire, qui peut comprendre un médecin, mais aussi différents professionnels: infirmière, nutritionniste, travailleuse sociale, ergothérapeute, préposée, etc. Ces services doivent être basés sur la prévention et la prise en charge continue des personnes, particulièrement celles atteintes de maladies chroniques. Et pour cela, il faut revoir le mode de rémunération des médecins.
Pourquoi? Parce que la rémunération à l’acte des médecins encourage la quantité, le volume de services, au détriment de la qualité. Elle invite au surtraitement et à la surmédicalisation.
Elle n’est pas adaptée à la lourdeur des cas, et décourage la prise en charge des cas plus lourds. Elle ne soutient pas le travail de prévention. Elle augmente l’administration, la bureaucratie et les coûts de gestion par la RAMQ. Elle n’incite pas à une planification des horaires de soins et services, les temps d’attente étant non rémunérés.
De plus, elle maintient le statut d’entreprise privée ou de travailleur autonome des médecins. Elle nuit à la constitution et au travail d’une équipe multidisciplinaire de première ligne, ne favorisant pas la mise en œuvre des ordonnances collectives.
Enfin, elle ouvre la porte à la facturation (et la surfacturation) de frais accessoires et elle permet l’incorporation des médecins, facilitant l’évasion fiscale, ce qui, en ces temps où tout le monde « doit faire sa part », est inadmissible!
Revoir le mode de rémunération des médecins
Le projet de loi 20 du ministre Barrette ne remet nullement en question ce mode de rémunération et ses répercussions, et les quotas qu’il impose ne font que renforcer le tout. Intéressant de lire à ce niveau la position des Médecins québécois pour le régime public (MQRP), qui souligne que le problème est la rémunération à l’acte « parce qu’elle crée une pression pour voir un grand nombre de patients rapidement, elle semble moins appropriée pour le suivi des patients avec maladies chroniques, à moins d’être associée à une grande accessibilité. D’autre part, la rémunération à l'acte favorise probablement moins le travail interdisciplinaire, puisque le médecin a tout intérêt à concentrer les soins afin d’en tirer le plein tarif et à ne pas déléguer à d’autres professionnels. »
Si, pour certains, cette question du mode de rémunération peut sembler nouvelle, il est intéressant de noter que le Rapport préparé par le comité sur la pertinence et la faisabilité d’un régime universel public d’assurance médicaments au Québec datant de 2001 y référait de la façon suivante, pour diminuer les coûts des médicaments prescrits : «Rémunération des médecins de première ligne : des études démontrent que plus un médecin passe de temps avec un patient, plus la probabilité qu’il prescrive un médicament diminue. En modifiant la formule de rémunération des médecins de première ligne, on [pourrait] ainsi inciter le médecin à passer plus de temps avec chaque patient et, par conséquent, on [pourrait] réduire le nombre de prescriptions. »
On le voit bien, changer le mode de rémunération des médecins permettrait de changer la philosophie de soins, pour l’orienter plus vers la recherche de la santé et pas seulement sur les soins de la maladie.
Évidemment, pour faire cela, il faudrait que le gouvernement Couillard s’éloigne de son objectif de marchandisation et de privatisation de notre système public de services sociaux et de santé.
C’est pas demain la veille…